Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Est-ce le temps de la chasse ? dit Julie en jetant un regard indifférent à son mari.

Le mois de mars était à sa fin.

— Madame, le grand veneur chasse quand il veut et où il veut. Nous allons en forêt royale tuer des sangliers.

— Prenez garde qu’il ne vous arrive quelque accident…

— Un malheur est toujours imprévu, répondit-il en souriant.

— La voiture de monsieur est prête, dit Guillaume.

Le général se leva, baisa la main de madame de Wimphen, et se tourna vers Julie.

— Madame, si je périssais victime d’un sanglier ! dit-il d’un air suppliant.

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda madame de Wimphen.

— Allons, venez, dit madame d’Aiglemont à Victor. Puis, elle sourit comme pour dire à Louisa : — Tu vas voir.

Julie tendit son cou à son mari, qui s’avança pour l’embrasser ; mais la marquise se baissa de telle sorte, que le baiser conjugal glissa sur la ruche de sa pèlerine.

— Vous en témoignerez devant Dieu, reprit le marquis en s’adressant à madame de Wimphen, il me faut un firman pour obtenir cette légère faveur. Voilà comment ma femme entend l’amour. Elle m’a amené là, je ne sais par quelle ruse. Bien du plaisir !

Et il sortit.

— Mais ton pauvre mari est vraiment bien bon, s’écria Louisa quand les deux femmes se trouvèrent seules. Il t’aime.

— Oh ! n’ajoute pas une syllabe à ce dernier mot. Le nom que je porte me fait horreur…

— Oui, mais Victor t’obéit entièrement, dit Louisa.

— Son obéissance, répondit Julie, est en partie fondée sur la grande estime que je lui ai inspirée. Je suis une femme très vertueuse selon les lois ; je lui rends sa maison agréable, je ferme les yeux sur ses intrigues, je ne prends rien sur sa fortune ; il peut en gaspiller les revenus à son gré : j’ai soin seulement d’en conserver le capital. À ce prix, j’ai la paix. Il ne s’explique pas, ou ne veut pas s’expliquer mon existence. Mais si je mène ainsi mon mari, ce n’est pas sans redouter les effets de son caractère. Je suis comme un conducteur d’ours qui tremble qu’un jour la muselière ne se brise. Si Victor croyait avoir le droit de ne plus m’estimer, je n’ose prévoir ce qui pourrait arriver ; car il est violent, plein d’amour-