Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/61

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le secret de ce drame, et Louisa n’avait pas de raisons valables à donner à son mari, en lui demandant à rester chez son amie. Lorsque madame de Wimphen mit son châle, Julie se leva comme pour aider Louisa à l’attacher, et dit à voix basse : — J’aurai du courage. S’il est venu publiquement chez moi, que puis-je craindre ? Mais, sans toi, dans le premier moment, en le voyant si changé, je serais tombée à ses pieds.

— Hé ! bien, Arthur, vous ne m’avez pas obéi, dit madame d’Aiglemont d’une voix tremblante en revenant prendre sa place sur une causeuse où lord Grenville n’osa venir s’asseoir.

— Je n’ai pu résister plus longtemps au plaisir d’entendre votre voix, d’être auprès de vous. C’était une folie, un délire. Je ne suis plus maître de moi. Je me suis bien consulté, je suis trop faible. Je dois mourir. Mais mourir sans vous avoir vue, sans avoir écouté le frémissement de votre robe, sans avoir recueilli vos pleurs, quelle mort !

Il voulut s’éloigner de Julie, mais son brusque mouvement fit tomber un pistolet de sa poche. La marquise regarda cette arme d’un œil qui n’exprimait plus ni passion ni pensée. Lord Grenville ramassa le pistolet et parut violemment contrarié d’un accident qui pouvait passer pour une spéculation d’amoureux.

— Arthur ! demanda Julie.

— Madame, répondit-il en baissant les yeux, j’étais venu plein de désespoir, je voulais.

Il s’arrêta.

— Vous vouliez vous tuer chez moi ! s’écria-t-elle.

— Non pas seul, dit-il d’une voix douce.

— Eh ! quoi, mon mari, peut-être ?

— Non, non, s’écria-t-il d’une voix étouffée. Mais rassurez-vous, reprit-il, mon fatal projet s’est évanoui. Lorsque je suis entré, quand je vous ai vue, alors je me suis senti le courage de me taire, de mourir seul.

Julie se leva, se jeta dans les bas d’Arthur qui, malgré les sanglots de sa maîtresse, distingua deux paroles pleines de passion.

— Connaître le bonheur et mourir, dit-elle. Eh ! bien, oui !

Toute l’histoire de Julie était dans ce cri profond, cri de nature et d’amour auquel les femmes sans religion succombent ; Arthur la saisit et la porta sur le canapé par un mouvement empreint de