Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/64

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— Je lui ai permis d’aller à l’Opéra.

— Cela est singulier ! reprit le mari tout en se déshabillant, j’ai cru la voir en montant l’escalier.

— Elle est alors sans doute rentrée, dit Julie en affectant de l’impatience.

Puis, pour n’éveiller aucun soupçon chez son mari, la marquise tira le cordon de la sonnette, mais faiblement.

Les événements de cette nuit n’ont pas été tous parfaitement connus ; mais tous durent être aussi simples, aussi horribles que le sont les incidents vulgaires et domestiques qui précèdent. Le lendemain, la marquise d’Aiglemont se mit au lit pour plusieurs jours.

— Qu’est-il donc arrivé de si extraordinaire chez toi, pour que tout le monde parle de ta femme ? demanda monsieur de Ronquerolles à M. d’Aiglemont quelques jours après cette nuit de catastrophes.

— Crois-moi, reste garçon, dit d’Aiglemont. Le feu a pris aux rideaux du lit où couchait Hélène ; ma femme a eu un tel saisissement que la voilà malade pour un an, dit le médecin. Vous épousez une jolie femme, elle enlaidit ; vous épousez une jeune fille pleine de santé, elle devient malingre ; vous la croyez passionnée, elle est froide ; ou bien, froide en apparence, elle est réellement si passionnée qu’elle vous tue ou vous déshonore. Tantôt la créature la plus douce est quinteuse, et jamais les quinteuses ne deviennent douces ; tantôt, l’enfant que vous avez eue niaise et faible, déploie contre vous une volonté de fer, un esprit de démon. Je suis las du mariage.

— Ou de ta femme.

— Cela serait difficile. À propos, veux-tu venir à Saint-Thomas-d’Aquin avec moi voir l’enterrement de lord Grenville ?

— Singulier passe-temps. Mais, reprit Ronquerolles, sait-on décidément la cause de sa mort ?

— Son valet de chambre prétend qu’il est resté pendant toute une nuit sur l’appui extérieur d’une fenêtre pour sauver l’honneur de sa maîtresse ; et, il a fait diablement froid ces jours-ci !

— Ce dévouement serait très-estimable chez nous autres, vieux routiers ; mais lord Grenville est jeune, et… Anglais. Ces Anglais veulent toujours se singulariser.

— Bah ! répondit d’Aiglemont, ces traits d’héroïsme dépendent