Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/76

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liberté, pour la femme des devoirs. Nous vous devons toute notre vie, vous ne nous devez de la vôtre que de rares instants. Enfin l’homme fait un choix là où nous nous soumettons aveuglément. Oh ! monsieur, à vous je puis tout dire. Hé bien, le mariage, tel qu’il se pratique aujourd’hui, me semble être une prostitution légale. De là sont nées mes souffrances. Mais moi seule parmi les malheureuses créatures si fatalement accouplées je dois garder le silence ! moi seule suis l’auteur du mal, j’ai voulu mon mariage.

Elle s’arrêta, versa des pleurs amers et resta silencieuse.

— Dans cette profonde misère, au milieu de cet océan de douleur, reprit-elle, j’avais trouvé quelques sables où je posais les pieds, où je souffrais à mon aise ; un ouragan a tout emporté. Me voilà seule, sans appui, trop faible contre les orages.

— Nous ne sommes jamais faibles quand Dieu est avec nous, dit le prêtre. D’ailleurs, si vous n’avez pas d’affections à satisfaire ici-bas, n’y avez-vous pas des devoirs à remplir ?

— Toujours des devoirs ! s’écria-t-elle avec une sorte d’impatience. Mais où sont pour moi les sentiments qui nous donnent la force de les accomplir ? Monsieur, rien de rien ou rien pour rien est une des plus justes lois de la nature et morale et physique. Voudriez-vous que ces arbres produisissent leurs feuillages sans la sève qui les fait éclore ? L’âme a sa séve aussi ! Chez moi la séve est tarie dans sa source.

— Je ne vous parlerai pas des sentiments religieux qui engendrent la résignation, dit le curé ; mais la maternité, madame, n’est-elle donc pas… ?

— Arrêtez, monsieur ! dit la marquise. Avec vous je serai vraie. Hélas ! je ne puis l’être désormais avec personne, je suis condamnée à la fausseté ; le monde exige de continuelles grimaces, et sous peine d’opprobre nous ordonne d’obéir à ses conventions. Il existe deux maternités, monsieur. J’ignorais jadis de telles distinctions ; aujourd’hui je le sais. Je ne suis mère qu’à moitié, mieux vaudrait ne pas l’être du tout. Hélène n’est pas de lui ! Oh ! ne frémissez pas ! Saint-Lange est un abîme où se sont engloutis bien des sentiments faux, d’où se sont élancées de sinistres lueurs, où se sont écroulés les frêles édifices des lois anti-naturelles. J’ai un enfant, cela suffit ; je suis mère, ainsi le veut la loi. Mais vous, monsieur, qui avez une âme si délicatement compatissante, peut-être comprendrez-vous les cris d’une pauvre femme qui n’a laissé pénétrer