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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/78

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tées ? Que peut-elle devenir ? Je vous dirai, moi, ce qu’elle éprouve ! Cent fois durant le jour, cent fois durant la nuit, un frisson ébranle ma tête, mon cœur et mon corps, quand quelque souvenir trop faiblement combattu m’apporte les images d’un bonheur que je suppose plus grand qu’il n’est. Ces cruelles fantaisies font pâlir mes sentiments, et je me dis : — Qu’aurait donc été ma vie si… ? Elle se cacha le visage dans ses mains et fondit en larmes. — Voilà le fond de mon cœur ! reprit-elle. Un enfant de lui m’aurait fait accepter les plus horribles malheurs ! Le Dieu qui mourut chargé de toutes les fautes de la terre me pardonnera cette pensée mortelle pour moi ; mais, je le sais, le monde est implacable : pour lui, mes paroles sont des blasphèmes ; j’insulte à toutes ses lois. Ah ! je voudrais faire la guerre à ce monde pour en renouveler les lois et les usages, pour les briser ! Ne m’a-t-il pas blessée dans toutes mes idées, dans toutes mes fibres, dans tous mes sentiments, dans tous mes désirs, dans toutes mes espérances, dans l’avenir, dans le présent, dans le passé ? Pour moi, le jour est plein de ténèbres, la pensée est un glaive, mon cœur est une plaie, mon enfant est une négation. Oui, quand Hélène me parle, je lui voudrais une autre voix ; quand elle me regarde, je lui voudrais d’autres yeux. Elle est là pour m’attester tout ce qui devrait être et tout ce qui n’est pas. Elle m’est insupportable ! Je lui souris, je tâche de la dédommager des sentiments que je lui vole. Je souffre ! oh ! monsieur, je souffre trop pour pouvoir vivre. Et je passerai pour être une femme vertueuse ! Et je n’ai pas commis de fautes ! Et l’on m’honorera ! J’ai combattu l’amour involontaire auquel je ne devais pas céder ; mais, si j’ai gardé ma foi physique, ai-je conservé mon cœur ? Ceci, dit-elle, en appuyant la main droite sur son sein, n’a jamais été qu’à une seule créature. Aussi mon enfant ne s’y trompe-t-il pas. Il existe des regards, une voix, des gestes de mère dont la force pétrit l’âme des enfants ; et ma pauvre petite ne sent pas mon bras frémir, ma voix trembler, mes yeux s’amollir quand je la regarde, quand je lui parle ou quand je la prends. Elle me lance des regards accusateurs que je ne soutiens pas ! Parfois je tremble de trouver en elle un tribunal où je serai condamnée sans être entendue. Fasse le ciel que la haine ne se mette pas un jour entre nous ! Grand Dieu ! ouvrez-moi plutôt la tombe, laissez-moi finir à Saint-Lange ! Je veux aller dans le monde où je retrouverai mon autre âme, où je serai tout à fait mère ! Oh ! pardon, monsieur, je suis folle. Ces