Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/81

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vres filles sans dot, elles deviennent folles, elles meurent ; pour elles, aucune pitié ! La beauté, les vertus ne sont pas des valeurs dans votre bazar humain, et vous nommez société ce repaire d’égoïsme. Mais exhérédez les femmes ! au moins accomplirez-vous ainsi une loi de nature en choisissant vos compagnes, en les épousant au gré des vœux du cœur.

— Madame, vos discours me prouvent que ni l’esprit de famille ni l’esprit religieux ne vous touchent. Aussi n’hésiterez-vous pas entre l’égoïsme social qui vous blesse et l’égoïsme de la créature qui vous fera souhaiter des jouissances…

— La famille, monsieur, existe-t-elle ? Je nie la famille dans une société qui, à la mort du père ou de la mère, partage les biens et dit à chacun d’aller de son côté. La famille est une association temporaire et fortuite que dissout promptement la mort. Nos lois ont brisé les maisons, les héritages, la pérennité des exemples et des traditions. Je ne vois que décombres autour de moi.

— Madame, vous ne reviendrez à Dieu que quand sa main s’appesantira sur vous, et je souhaite que vous ayez assez de temps pour faire votre paix avec lui. Vous cherchez vos consolations en baissant les yeux sur la terre, au lieu de les lever vers les cieux. Le philosophisme et l’intérêt personnel ont attaqué votre cœur ; vous êtes sourde à la voix de la religion, comme le sont les enfants de ce siècle sans croyance ! Les plaisirs du monde n’engendrent que des souffrances. Vous allez changer de douleurs, voilà tout.

— Je ferai mentir votre prophétie, dit-elle en souriant avec amertume, je serai fidèle à celui qui mourut pour moi.

— La douleur, répondit-il, n’est viable que dans les âmes préparées par la religion.

Il baissa respectueusement les yeux pour ne pas laisser voir les doutes qui pouvaient se peindre dans son regard. L’énergie des plaintes échappées à la marquise l’avait contristé. En reconnaissant le moi humain sous ses mille formes, il désespéra de ramollir ce cœur que le mal avait desséché au lieu de l’attendrir, et où le grain du Semeur céleste ne devait pas germer, puisque sa voix douce y était étouffée par la grande et terrible clameur de l’égoïsme. Néanmoins il déploya la constance de l’apôtre, et revint à plusieurs reprises, toujours ramené par l’espoir de tourner à Dieu cette âme si noble et si fière ; mais il perdit courage le jour où il s’aperçut que la marquise n’aimait à causer avec lui que parce qu’elle trou-