Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/161

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âme, en cette physionomie aussi ravissante que celle de Bernardin de Saint-Pierre. Elle n’écouta pas le libraire. Donc, au commencement du mois d’août, elle écrivit la lettre suivante à ce nouveau Dorat qui passe encore pour une des étoiles de la pléiade moderne.




I.
à monsieur de canalis.


« Déjà bien des fois, monsieur, j’ai voulu vous écrire, et pourquoi ? vous le devinez : pour vous dire combien j’aime votre talent. Oui, j’éprouve le besoin de vous exprimer l’admiration d’une pauvre fille de province, seulette dans son coin, et dont tout le bonheur est de lire vos poésies. De René, je suis venue à vous. La mélancolie conduit à la rêverie. Combien d’autres femmes ne vous ont-elles pas envoyé l’hommage de leurs pensées secrètes ?… Quelle est ma chance d’être distinguée dans cette foule ? Qu’est-ce que ce papier, plein de mon âme, aura de plus que toutes les lettres parfumées qui vous harcèlent ? Je me présente avec plus d’ennuis que toute autre : je veux rester inconnue et demande une confiance entière, comme si vous me connaissiez depuis longtemps.

» Répondez-moi, soyez bon pour moi. Je ne prends pas l’engagement de me faire connaître un jour, cependant je ne dis pas absolument non. Que puis-je ajouter à cette lettre ?… Voyez-y, monsieur, un grand effort, et permettez-moi de vous tendre la main, oh ! une main bien amie, celle de

» Votre servante
» O. d’este-m.

» Si vous me faites la grâce de me répondre, adressez, je vous prie, votre lettre à mademoiselle F. Cochet, poste restante, au Havre. »


Maintenant, toutes les jeunes filles, romanesques ou non, peuvent imaginer dans quelle impatience vécut Modeste pendant quelques jours ! L’air fut plein de langues de feu. Les arbres lui parurent un