Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/168

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— Oh ! combien j’aimerais une femme venue à moi !… s’écria La Brière en retenant une larme. On peut te répondre, mon cher Canalis, que ce n’est jamais une pauvre fille qui monte jusqu’à l’homme célèbre ; elle a trop de défiance, trop de vanité, trop de craintes ! c’est toujours une étoile, une…

— Une princesse, s’écria Canalis en partant d’un éclat de rire, n’est-ce pas ? qui descend jusqu’à lui… Mon cher, cela se voit une fois en cent ans. Un tel amour est comme cette fleur qui fleurit tous les siècles… Les princesses, jeunes, riches et belles, sont trop occupées, elles sont entourées, comme toutes les plantes rares, d’une haie de sots, gentilshommes bien élevés, vides comme des sureaux ! Mon rêve, hélas ! le cristal de mon rêve, brodé de la Corrèze ici de guirlandes de fleurs, dans quelle ferveur !… (n’en parlons plus), il est en éclats, à mes pieds, depuis longtemps… Non, non, toute lettre anonyme est une mendiante ! Et quelles exigences ! Écris à cette petite personne, en supposant qu’elle soit jeune et jolie, et tu verras ! Tu n’auras pas autre chose à faire. On ne peut raisonnablement pas aimer toutes les femmes. Apollon, celui du Belvédère du moins, est un élégant poitrinaire qui doit se ménager.

— Mais quand une créature arrive ainsi, son excuse doit être dans une certitude d’éclipser en tendresse, en beauté, la maîtresse la plus adorée, dit Ernest, et alors un peu de curiosité…

— Ah ! répondit Canalis, tu me permettras, trop jeune Ernest, de m’en tenir à la belle duchesse qui fait mon bonheur.

— Tu as raison, trop raison, répondit Ernest.

Néanmoins, le jeune secrétaire lut la lettre de Modeste, et la relut en essayant d’en deviner l’esprit caché.

— Il n’y a pourtant pas là la moindre emphase, on ne te donne pas du génie, on s’adresse à ton cœur, dit-il à Canalis. Ce parfum de modestie et ce contrat proposé me tenteraient…

— Signe-le, réponds, va toi-même jusqu’au bout de l’aventure, je le donne là de tristes appointements, s’écria Canalis en souriant. Va, tu m’en diras des nouvelles dans trois mois, si cela dure trois mois…

Quatre jours après, Modeste tenait la lettre suivante, écrite sur du beau papier, protégée par une double enveloppe, et sous un cachet aux armes de Canalis.