Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voleront vers vous comme les jolis moucherons vers les rayons du soleil ? Je suis sûre que vous n’avez jamais rencontré cette bonne fortune de l’esprit : les confidences d’une jeune fille ! Écoutez son babil, acceptez les musiques qu’elle n’a encore chantées que pour elle. Plus tard, si nos âmes sont bien sœurs, si nos caractères se conviennent à l’essai, quelque jour un vieux domestique à cheveux blancs, placé sur le bord d’une route, vous attendra pour vous conduire dans un chalet, dans une villa, dans un castel, dans un palais, je ne sais encore de quel genre sera le pavillon jaune et brun de l’hyménée (les couleurs de l’Autriche si puissante par le mariage), ni si le dénoûment est possible ; mais avouez que c’est poétique et que mademoiselle d’Este est de bonne composition ! Ne vous laisse-t-elle pas votre liberté ? vient-elle d’un pied jaloux jeter un coup d’œil dans les salons de Paris ? vous impose-t-elle les devoirs d’une emprinse, les chaînes que les paladins se mettaient jadis au bras volontairement ? Elle vous demande une alliance purement morale et mystérieuse ? Allons, venez dans mon cœur quand vous serez malheureux, blessé, fatigué. Dites-moi bien tout alors, ne me cachez rien, j’aurai des élixirs pour toutes vos douleurs. J’ai vingt ans, mon ami, mais ma raison en a cinquante, et j’ai malheureusement ressenti dans un autre moi-même les horreurs et les délices de la passion. Je sais tout ce que le cœur humain peut contenir de lâchetés, d’infamies, et je suis néanmoins la plus honnête de toutes les jeunes filles. Non, je n’ai plus d’illusions ; mais j’ai mieux : j’ai des croyances et une religion. Tenez, je commence le jeu de nos confidences.

» Quel que soit le mari que j’aurai, si je l’ai choisi, cet homme pourra dormir tranquille, il pourra s’en aller aux Grandes Indes, il me retrouvera finissant la tapisserie commencée à son départ, sans qu’aucun regard ait plongé dans mes yeux, sans qu’une voix d’homme ait flétri l’air dans mon oreille ; et dans chaque point il reconnaîtra comme un vers du poëme dont il aura été le héros. Quand même je me serais trompée à quelque belle et menteuse apparence, cet homme aura toutes les fleurs de mes pensées, toutes les coquetteries de ma tendresse, les muets sacrifices d’une résignation fière et non mendiante. Oui, je me suis promis de ne jamais suivre mon mari au dehors quand il ne le voudra pas : je serai la divinité de son foyer. Voilà ma religion humaine. Mais