Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/206

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— Je puis le jurer, ma mère, dit Modeste en souriant et regardant Dumay qui l’examinait et souriait comme une jeune fille qui fait une malice.

— Elle serait donc bien fausse, s’écria Dumay quand Modeste rentra dans la maison.

— Ma fille Modeste peut avoir des défauts, répondit la mère, mais elle est incapable de mentir.

— Eh bien ! soyons donc tranquilles, reprit le lieutenant, et pensons que le malheur a soldé son compte avec nous.

— Dieu le veuille ! répliqua madame Mignon. Vous le verrez, Dumay ; moi, je ne pourrai que l’entendre… Il y a bien de la mélancolie dans mon bonheur !

En ce moment, Modeste, quoique heureuse du retour de son père, était affligée comme Perrette en voyant ses œufs cassés. Elle avait espéré plus de fortune que n’en annonçait Dumay. Devenue ambitieuse pour son poëte, elle souhaitait au moins la moitié des six millions dont elle avait parlé dans sa seconde lettre. En proie à sa double joie et contrariée par le petit chagrin que lui causait sa pauvreté relative, elle se mit à son piano, ce confident de tant de jeunes filles, qui lui disent leurs colères, leurs désirs, en les exprimant par les nuances de leur jeu. Dumay causait avec sa femme en se promenant sous les fenêtres, il lui confiait le secret de leur fortune et l’interrogeait sur ses désirs, sur ses souhaits, sur ses intentions. Madame Dumay n’avait, comme son mari, d’autre famille que la famille Mignon. Les deux époux décidèrent de vivre en Provence, si le comte de La Bastie allait en Provence, et de léguer leur fortune à celui des enfants de Modeste qui en aurait besoin.

— Écoutez Modeste ! leur dit madame Mignon, il n’y a qu’une fille amoureuse qui puisse composer de pareilles mélodies sans connaître la musique…

Les maisons peuvent brûler, les fortunes sombrer, les pères revenir de voyage, les empires crouler, le choléra ravager la cité, l’amour d’une jeune fille poursuit son vol, comme la nature sa marche, comme cet effroyable acide que la chimie a découvert, et qui peut trouer le globe si rien ne l’absorbe au centre.

Voici la romance que sa situation avait inspirée à Modeste sur les stances qu’il faut citer, quoiqu’elles soient imprimées au deuxième volume de l’édition dont parlait Dauriat, car pour y adapter sa