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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/245

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cœur ? Modeste, qui craignait de troubler la joie mélancolique de son père et de sa mère, venait, de moment en moment, embrasser le front du voyageur ; et, en l’embrassant trop, elle semblait vouloir l’embrasser pour deux.

— Oh ! chère petite ! je te comprends ! dit le colonel en serrant la main de Modeste à un moment où elle l’assaillait de caresses.

— Chut ! lui répondit Modeste à l’oreille en lui montrant sa mère.

Le silence un peu finaud de Dumay rendit Modeste inquiète sur les résultats du voyage à Paris, elle regardait parfois le lieutenant à la dérobée, sans pouvoir pénétrer au delà de ce dur épiderme. Le colonel voulait, en père prudent, étudier le caractère de sa fille unique, et consulter surtout sa femme avant d’avoir une conférence d’où dépendait le bonheur de toute la famille.

— Demain, mon enfant chéri, dit-il le soir, lève-toi de bonne heure, nous irons ensemble, s’il fait beau, nous promener au bord de la mer… Nous avons à causer de vos poëmes, mademoiselle de La Bastie.

Ce mot, accompagné d’un sourire paternel qui reparut comme un écho sur les lèvres de Dumay, fut tout ce que Modeste put savoir ; mais ce fut assez, et pour calmer ses inquiétudes, et pour la rendre curieuse à ne s’endormir que tard, tant elle fit de suppositions ! Aussi, le lendemain était-elle tout habillée et prête avant le colonel.

— Vous savez tout, mon bon père, dit-elle aussitôt qu’elle se trouva sur le chemin de la mer.

— Je sais tout, et encore bien des choses que tu ne sais pas, répondit-il.

Sur ce mot, le père et la fille firent quelques pas en silence.

— Explique-moi, mon enfant, comment une fille adorée par sa mère a pu faire une démarche aussi capitale que celle d’écrire à un inconnu, sans la consulter ?

— Hé ! papa, parce que maman ne l’aurait pas permis.

— Crois-tu, ma fille, que ce soit raisonnable ? Si tu t’es fatalement instruite toute seule, comment ta raison ou ton esprit, à défaut de la pudeur, ne t’ont-ils pas dit qu’agir ainsi c’était te jeter à la tête d’un homme ? Ma fille, ma seule et unique enfant serait sans fierté, sans délicatesse ?… Oh ! Modeste, tu as fait passer à ton père deux heures d’enfer à Paris ; car enfin, tu as tenu