Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— J’aimais un homme vrai, sans mensonge au front, probe comme vous l’êtes, incapable de se déguiser comme un acteur, de se mettre à la joue le fard de la gloire d’un autre…

— Tu disais que rien ne pouvait te faire changer ? dit ironiquement le colonel.

— Oh ! ne vous jouez pas de moi ?… dit-elle en joignant les mains et regardant son père dans une anxiété cruelle, vous ne savez pas que vous maniez mon cœur et mes plus chères croyances avec vos plaisanteries…

— Dieu m’en garde ! je t’ai dit l’exacte vérité.

— Vous êtes bien bon, mon père ! répondit-elle après une pause et avec une sorte de solennité.

— Et il a tes lettres ! reprit Charles Mignon. Hein ?… Si ces folles caresses de ton âme étaient tombées entre les mains de ces poëtes qui, selon Dumay, en font des allumettes à cigare !

— Oh !… vous allez trop loin…

— Canalis le lui a dit…

— Il a vu Canalis ?…

— Oui, répondit le colonel.

Ils marchèrent tous les deux en silence.

— Voilà donc pourquoi, reprit Modeste après quelques pas, ce monsieur me disait tant de mal de la poésie et des poëtes ? pourquoi ce petit secrétaire parlait de… Mais, dit-elle en s’interrompant, ses vertus, ses qualités, ses beaux sentiments ne sont-ils pas un costume épistolaire ?… Celui qui vole une gloire et un nom peut bien…

— Crocheter des serrures, voler le Trésor, assassiner sur le grand chemin !… s’écria Charles Mignon en souriant. Vous voilà bien, vous autres jeunes filles avec vos sentiments absolus et votre ignorance de la vie ! un homme capable de tromper une femme descend nécessairement de l’échafaud ou doit y monter…

Cette raillerie arrêta l’effervescence de Modeste ; et, de nouveau le silence régna.

— Mon enfant, reprit le colonel, les hommes dans la société, comme dans la nature d’ailleurs, doivent chercher à s’emparer de vos cœurs, et vous devez vous défendre. Tu as interverti les rôles. Est-ce bien ? Tout est faux dans une fausse position. À toi donc le premier tort. Non, un homme n’est pas un monstre quand il essaie de plaire à une femme, et notre droit, à nous, nous permet l’a-