Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/269

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— Et pourquoi pas ?… répliqua Charles Mignon en voyant rougir Ernest.

Modeste demeura froide, et reprit sa broderie.

— Madame peut avoir raison, je suis venu deux fois au Havre, répondit La Brière qui s’assit à côté de Dumay.

Canalis, émerveillé de la beauté de Modeste, se méprit à l’admiration qu’elle exprimait, et se flatta d’avoir complétement réussi dans ses effets.

— Je croirais un homme de génie sans cœur s’il n’avait pas auprès de lui quelque amitié dévouée, dit Modeste pour relever la conversation interrompue par la maladresse de madame Latournelle.

— Mademoiselle, le dévouement d’Ernest pourrait me faire croire que je vaux quelque chose, dit Canalis, car ce cher Pylade est rempli de talent, il a été la moitié du plus grand ministre que nous ayons eu depuis la paix. Quoiqu’il occupe une magnifique position, il a consenti à être mon précepteur en politique ; il m’apprend les affaires, il me nourrit de son expérience, tandis qu’il pourrait aspirer à de plus hautes destinées. Oh ! il vaut mieux que moi… À un geste que fit Modeste, Melchior dit avec grâce : ─ La poésie que j’exprime, il l’a dans le cœur ; et si je parle ainsi devant lui, c’est qu’il a la modestie d’une religieuse.

— Assez, assez, dit La Brière qui ne savait quelle contenance tenir, tu as l’air, mon cher, d’une mère qui veut marier sa fille.

— Et comment, monsieur, dit Charles Mignon en s’adressant à Canalis, pouvez-vous penser à devenir un homme politique ?

— Pour un poëte, c’est abdiquer, dit Modeste, la politique est la ressource des hommes positifs…

— Ah ! mademoiselle, aujourd’hui la tribune est le plus grand théâtre du monde, elle a remplacé le champ clos de la chevalerie ; elle sera le rendez-vous de toutes les intelligences, comme l’armée était naguère celui de tous les courages.

Canalis enfourcha son cheval de bataille, il parla pendant dix minutes sur la vie politique : ─ La poésie était la préface de l’homme d’État. ─ Aujourd’hui, l’orateur devenait un généralisateur sublime, le pasteur des idées. ─ Quand le poëte pouvait indiquer à son pays le chemin de l’avenir, cessait-il donc d’être lui-même ? ─ Il cita Chateaubriand, en prétendant qu’il serait un jour plus considérable par le côté politique que par le côté littéraire. ─ La tribune fran-