Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/30

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foisonner s’échappaient de dessous un bonnet de dentelle et de fleurs.

— Déjà ?… dit-elle en souriant. Un amant n’aurait pas un tel empressement. Vous avez des secrets à me dire, n’est-ce pas ?

Et elle se posa sur une causeuse invitant par un geste Calyste à se mettre près d’elle. Par un hasard cherché peut-être (car les femmes ont deux mémoires, celle des anges et celle des démons), Béatrix exhalait le parfum dont elle se servait aux Touches lors de sa rencontre avec Calyste. La première aspiration de cette odeur, le contact de cette robe, le regard de ces yeux qui, dans ce demi-jour, attiraient la lumière pour la renvoyer, tout fit perdre la tête à Calyste. Le malheureux retrouva cette violence qui déjà faillit tuer Béatrix ; mais, cette fois, la marquise était au bord d’une causeuse, et non de l’Océan, elle se leva pour aller sonner, en posant un doigt sur ses lèvres. À ce signe, Calyste, rappelé à l’ordre, se contint, il comprit que Béatrix n’avait aucune intention belliqueuse.

— Antoine, je n’y suis pour personne, dit-elle au vieux domestique. Mettez du bois dans le feu. — Vous voyez, Calyste, que je vous traite en ami, reprit-elle avec dignité quand le vieillard fut sorti, ne me traitez pas en maîtresse. J’ai deux observations à vous faire. D’abord, je ne me disputerais pas sottement à un homme aimé ; puis je ne veux plus être à aucun homme au monde, car j’ai cru, Calyste, être aimée par une espèce de Rizzio qu’aucun engagement n’enchaînait, par un homme entièrement libre, et vous voyez où cet entraînement fatal m’a conduite ? Vous, vous êtes sous l’empire du plus saint des devoirs, vous avez une femme jeune, aimable, délicieuse ; enfin, vous êtes père. Je serais, comme vous l’êtes, sans excuse et nous serions deux fous…

— Ma chère Béatrix, toutes ces raisons tombent devant un mot : je n’ai jamais aimé que vous au monde, et l’on m’a marié malgré moi.

— Un tour que nous a joué mademoiselle des Touches, dit-elle en souriant.

Trois heures se passèrent pendant lesquelles madame de Rochefide maintint Calyste dans l’observation de la foi conjugale en lui posant l’horrible ultimatum d’une renonciation radicale à Sabine. Rien ne la rassurerait, disait-elle, dans la situation horrible où la mettrait l’amour de Calyste. Elle regardait d’ailleurs le sacrifice de Sabine comme peu de chose, elle la connaissait bien !

— C’est, mon cher enfant, une femme qui tient toutes les pro-