Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/330

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— Assurément, non, mon père, mille fois non, dit-elle avec une impatience d’enfant.

Le colonel regarda Modeste avec une espèce de joie.

— Ah ! je ne t’ai pas influencée, s’écria ce bon père ; je puis maintenant t’avouer que, dès Paris, j’avais choisi mon gendre quand en lui faisant accroire que je n’avais pas de fortune, il m’a sauté au cou en me disant que je lui ôtais un poids de cent livres de dessus le cœur…

— De qui parlez-vous ? demanda Modeste en rougissant.

De l’homme à vertus positives, d’une moralité sûre, dit-il railleusement en répétant la phrase qui le lendemain de son retour avait dissipé les rêves de Modeste.

— Eh ! je ne pense pas à lui, papa ! Laissez-moi libre de refuser le duc moi-même ; je le connais, je sais comment le flatter…

— Ton choix n’est donc pas fait ?

— Pas encore. Il me reste encore quelques syllabes à deviner dans la charade de mon avenir ; mais, après avoir vu la cour par une échappée, je vous dirai mon secret à Rosembray.

— Vous irez à la chasse, n’est-ce pas ? cria le colonel en voyant de loin La Brière venant dans l’allée où il se promenait avec Modeste.

— Non, colonel, répondit Ernest. Je viens prendre congé de vous et de mademoiselle, je retourne à Paris…

— Vous n’êtes pas curieux, dit Modeste en interrompant et regardant le timide Ernest.

— Il suffirait, pour me faire rester, d’un désir que je n’ose espérer, répliqua-t-il.

— Si ce n’est que cela, vous me ferez plaisir, à moi, dit le colonel en allant au-devant de Canalis et laissant sa fille et le pauvre Ernest ensemble pour un instant.

— Mademoiselle, dit-il en levant les yeux sur elle avec la hardiesse d’un homme sans espoir, j’ai une prière à vous faire.

— À moi ?

— Que j’emporte votre pardon ! Ma vie ne sera jamais heureuse, j’ai le remords d’avoir perdu mon bonheur, sans doute par ma faute ; mais, au moins…

— Avant de nous quitter pour toujours, répondit Modeste d’une voix émue en interrompant à la Canalis, je ne veux savoir de vous qu’une seule chose ; et, si vous avez une fois pris un déguisement, je ne pense pas qu’en ceci vous auriez la lâcheté de me tromper…