Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/347

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vers, un gilet rayé, un col et une cape de velours noir. Il tenait à la main un petit fouet de chasse, et l’on voyait à sa gauche, attaché par un cordon de soie, un cornet de cuivre. Ce premier piqueur était accompagné de deux grands chiens courants de race, véritables Fox-Hound, à robe blanche tachetée de brun clair, hauts sur jarrets, au nez fin, la tête menue et à petites oreilles sur la crête. Ce piqueur, l’un des plus célèbres du comté d’où le prince l’avait fait venir à grands frais, commandait un équipage de quinze chevaux et de soixante chiens de race anglaise qui coûtait énormément au duc de Verneuil, peu curieux de chasse, mais qui passait à son fils ce goût essentiellement royal. Les surbordonnés, hommes et chevaux, se tenaient à une certaine distance, dans un silence parfait.

Or, en arrivant sur le terrain, John se vit prévenu par trois piqueurs en tête de deux meutes royales, venues en voiture, les trois meilleurs piqueurs du prince de Cadignan, et dont les personnages formaient un contraste parfait par leurs caractères et leurs costumes français avec le représentant de l’insolente Albion. Ces favoris du prince, tous coiffés de leurs chapeaux bordés, à trois cornes, très plats, très évasés, sous lesquels grimaçaient des figures hâlées, tannées, ridées et comme éclairées par des yeux petillants, étaient remarquablement secs, maigres, nerveux, en gens dévorés par la passion de la chasse. Tous munis de ces grandes trompes à la Dampierre, garnies de cordons en serge verte qui ne laissent voir que le cuivre du pavillon, ils contenaient leurs chiens et de l’œil et de la voix. Ces dignes bêtes formaient une assemblée de sujets plus fidèles que ceux à qui s’adressait alors le roi, tous tachetés de blanc, de brun, de noir, ayant chacun leur physionomie absolument comme les soldats de Napoléon, allumant au moindre bruit leurs prunelles d’un feu qui les faisait ressembler à des diamants ; l’un, venu du Poitou, court de reins, large d’épaules, bas jointé, coiffé de longues oreilles ; l’autre, venu d’Angleterre, blanc, levretté, peu de ventre, à petites oreilles et taillé pour la course ; tous les jeunes impatients et prêts à tapager ; tandis que les vieux, marqués de cicatrices, étendus, calmes, la tête sur les deux pattes de devant, écoutaient la terre comme des sauvages.

En voyant venir les Anglais, les chiens et les gens du roi s’entre-regardèrent en se demandant ainsi sans dire un mot : ─ Ne chasserons-nous donc pas seuls ?… Le service de Sa Majesté n’est-il pas compromis ?