Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/35

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encore l’héritier présomptif des du Guénic ; j’ai voulu te faire une surprise, absolument comme un bourgeois de la rue Saint-Denis. On finit en ce moment pour toi une toilette à laquelle ont travaillé des artistes ; ma mère et ma tante Zéphirine y ont contribué…

Sabine enveloppa Calyste de ses bras, le tint serré sur son cœur, la tête dans son cou, faiblissant sous le poids du bonheur, non pas à cause de la toilette, mais à cause du premier soupçon dissipé. Ce fut un de ces élans magnifiques qui se comptent et que ne peuvent pas prodiguer tous les amours, même excessifs, car la vie serait trop promptement brûlée. Les hommes devraient alors tomber aux pieds des femmes pour les adorer, car c’est un sublime où les forces du cœur et de l’intelligence se versent comme les eaux des nymphes architecturales jaillissent des urnes inclinées. Sabine fondit en larmes.

Tout à coup, comme mordue par une vipère, elle quitta Calyste, alla se jeter sur un divan, et s’y évanouit. La réaction subite du froid sur ce cœur enflammé, de la certitude sur les fleurs ardentes de ce Cantique des cantiques faillit tuer l’épouse. En tenant ainsi Calyste, en plongeant le nez dans sa cravate, abandonnée qu’elle était à sa joie, elle avait senti l’odeur du papier de la lettre !… Une autre tête de femme avait roulé là, dont les cheveux et la figure laissaient une odeur adultère. Elle venait de baiser la place où les baisers de sa rivale étaient encore chauds !…

— Qu’as-tu ?… dit Calyste après avoir rappelé Sabine à la vie en lui passant sur le visage un linge mouillé, lui faisant respirer des sels…

— Allez chercher mon médecin et mon accoucheur, tous deux ! Oui, j’ai, je le sens, une révolution de lait… Ils ne viendront à l’instant que si vous les en priez vous-même…

Le vous frappa Calyste qui, tout effrayé, sortit précipitamment. Dès que Sabine entendit la porte cochère se fermant, elle se leva comme une biche effrayée, elle tourna dans son salon comme une folle en criant : — Mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! Ces deux mots tenaient lieu de toutes ses idées. La crise qu’elle avait annoncée comme prétexte eut lieu. Ses cheveux devinrent dans sa tête autant d’aiguilles rougies au feu des névroses. Son sang bouillonnant lui parut à la fois se mêler à ses nerfs et vouloir sortir par ses pores ! Elle fut aveugle pendant un moment. Elle cria : — Je meurs !

Quand à ce terrible cri de mère et de femme attaquée, sa femme de chambre entra ; quand prise et portée au lit, elle eut recouvré la