Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/387

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quoi ? — Eh bien ! votre voisin est un hurluberlu… » fit la Gobain en montrant sa tête. Les fous tranquilles sont les seuls hommes de qui les femmes ne conçoivent aucune méfiance en fait de sentiment. Vous allez voir par la suite combien le comte avait vu juste en me choisissant ce rôle. — « Mais, qu’a-t-il ? demanda la comtesse. — Il a trop étudié, répondit la Gobain, il est devenu sauvage. Enfin, il a des raisons pour ne plus aimer les femmes… là, puisque vous voulez savoir tout ce qui se dit. — Eh bien ! reprit Honorine, les fous m’effraient moins que les gens sages, je lui parlerai, moi ! dis-lui que je le prie de venir. Si je ne réussis pas, je verrai le curé. » Le lendemain de cette conversation, en me promenant dans mes allées tracées, j’entrevis au premier étage du pavillon les rideaux d’une fenêtre écartés et la figure d’une femme posée en curieuse. La Gobain m’aborda. Je regardai brusquement le pavillon et fis un geste brutal, comme si je disais : — Eh ! je me moque bien de votre maîtresse ! — « Madame, dit la Gobain, qui revint rendre compte de son ambassade, le fou m’a priée de le laisser tranquille, en prétendant que charbonnier était maître chez soi, surtout quand il était sans femme. — Il a deux fois raison, répondit la comtesse. — Oui, mais il a fini par me répondre : « J’irai ! » quand je lui ai répondu qu’il ferait le malheur d’une personne qui vivait dans la retraite, et qui puisait de grandes distractions dans la culture des fleurs. » Le lendemain, je sus par un signe de la Gobain qu’on attendait ma visite. Après le déjeuner de la comtesse, au moment où elle se promenait devant son pavillon, je brisai le palis et je vins à elle. J’étais mis en campagnard : vieux pantalon à pied en molleton gris, gros sabots, vieille veste de chasse, casquette en tête, méchant foulard au cou, les mains salies de terre, et un plantoir à la main. — « Madame, c’est le monsieur qui est votre voisin ! » cria la Gobain. La comtesse ne s’était pas effrayée. J’aperçus enfin cette femme que sa conduite et les confidences du comte avaient rendue si curieuse à observer. Nous étions dans les premiers jours du mois de mai. L’air pur, le temps bleu, la verdeur des premières feuilles, la senteur du printemps faisaient un cadre à cette création de la douleur. En voyant Honorine, je conçus la passion d’Octave et la vérité de cette expression : une fleur céleste ! Sa blancheur me frappa tout d’abord par son blanc particulier, car il y a autant de blancs que de rouges et de bleus différents. En regardant la comtesse, l’œil servait à toucher cette peau suave où le sang courait