Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, dans sa vie élégante, avait rarement passé les barrières ; car ces mots : ─ Bien, madame ! ─ oui, madame ! répétés par Pierrotin, disaient assez que le voiturier désirait se soustraire à des recommandations évidemment trop verbeuses et inutiles.

— Vous placerez les paquets de manière à ce qu’ils ne soient pas mouillés, si par hasard le temps changeait.

— J’ai une bâche, dit Pierrotin. D’ailleurs, tenez, voyez, madame, avec quels soins on les charge ?

— Oscar, ne reste pas plus de quinze jours, quelque instance qu’on te fasse, reprit madame Clapart en revenant à son fils. Quoi que tu fasses, tu ne saurais plaire à madame Moreau ; d’ailleurs tu dois être revenu pour la fin de septembre. Tu sais, nous devons aller à Belleville chez ton oncle Cardot.

— Oui, maman.

— Surtout, lui dit-elle à voix basse, ne parle jamais de domesticité… Songe à tout moment que madame Moreau a été femme de chambre…

— Oui, maman…

Oscar, comme tous les jeunes gens chez qui l’amour-propre est excessivement sensible, paraissait contrarié de se voir admonester ainsi sur le seuil de l’hôtel du Lion d’argent.

— Eh bien, adieu, maman ; on va partir, voilà le cheval attelé.

La mère, ne se souvenant plus qu’elle se trouvait en plein faubourg Saint-Denis, embrassa son Oscar, et lui dit en sortant un joli petit pain de son cabas : ─ Tiens, tu allais oublier ton petit pain et ton chocolat ! Mon enfant, je te le répète, ne prends rien dans les auberges, on y fait payer les moindres choses dix fois ce qu’elles valent.

Oscar aurait voulu voir sa mère bien loin, quand elle lui fourra le pain et le chocolat dans sa poche. Cette scène eut deux témoins, deux jeunes gens de quelques années plus âgés que l’échappé du collége, mieux mis que lui, venus sans leur mère, et dont la démarche, la toilette, les façons trahissaient cette complète indépendance, objet de tous les désirs d’un enfant encore sous le joug immédiat de sa mère. Ces deux jeunes gens furent alors pour Oscar le monde entier.

— Il dit maman, s’écria l’un des deux inconnus en riant.

Ce mot parvint à l’oreille d’Oscar et détermina un : ─ Adieu, ma mère ! lancé dans un terrible mouvement d’impatience.