Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/537

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sive. Ils firent toutes réserves relativement à l’Espagnole, pour la juger en dernier ressort quand ils comparaîtraient par-devant elle.

Cette comtesse de Las Florentinas y Cabirolos était tout bonnement mademoiselle Agathe-Florentine Cabirolle, première danseuse du théâtre de la Gaîté, chez qui l’oncle Cardot chantait la Mère Godichon. Un an après la perte très réparable de feu madame Cardot, l’heureux négociant rencontra Florentine au sortir de la classe de Coulon. Éclairé par la beauté de cette fleur chorégraphique, Florentine avait alors treize ans, le marchand retiré la suivit jusque dans la rue Pastourelle, où il eut le plaisir d’apprendre que le futur ornement du Ballet devait le jour à une simple portière. En quinze jours, la mère et la fille établies rue de Crussol y connurent une modeste aisance. Ce fut donc à ce protecteur des arts, selon la phrase consacrée, que le Théâtre dut ce jeune talent. Ce généreux Mécène rendit alors ces deux créatures presque folles de joie en leur offrant un mobilier d’acajou, des tentures, des tapis et une cuisine montée ; il leur permit de prendre une femme de ménage, et leur apporta deux cent cinquante francs par mois. Le père Cardot, orné de ses ailes de pigeon, parut alors être un ange, et fut traité comme devait l’être un bienfaiteur. Pour la passion du bonhomme, ce fut l’âge d’or.

Pendant trois ans, le chantre de la mère Godichon eut la haute politique de maintenir mademoiselle Cabirolle et sa mère dans ce petit appartement, à deux pas du théâtre ; puis il donna, par amour pour la chorégraphie, Vestris pour maître à sa protégée. Aussi eut-il, vers 1820, le bonheur de voir danser à Florentine son premier pas dans le ballet d’un mélodrame à spectacle, intitulé les Ruines de Babylone. Florentine comptait alors seize printemps. Quelque temps après ce début, le père Cardot était déjà devenu un vieux grigou pour sa protégée ; mais comme il eut la délicatesse de comprendre qu’une danseuse du Théâtre de la Gaîté avait un certain rang à garder, et qu’il porta son secours mensuel à cinq cents francs par mois, s’il ne redevint pas un ange, il fut du moins un ami pour la vie, un second père. Ce fut l’âge d’argent.

De 1820 à 1823, Florentine acquit l’expérience dont doivent jouir toutes les danseuses de dix-neuf à vingt ans. Ses amies furent les illustres Mariette et Tullia, deux Premiers Sujets de l’Opéra ; Florine, puis la pauvre Coralie, sitôt ravie aux arts, à l’amour et à