Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/152

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dres, dans son grade, reçut sa solde arriérée et fut admis dans la Garde royale. Ces faveurs arrivèrent successivement au marquis de Montriveau sans qu’il eût fait la moindre demande. Des amis lui épargnèrent les démarches personnelles auxquelles il se serait refusé. Puis, contrairement à ses habitudes, qui se modifièrent tout à coup, il alla dans le monde, où il fut accueilli favorablement, et où il rencontra partout les témoignages d’une haute estime. Il semblait avoir trouvé quelque dénoûment pour sa vie ; mais chez lui tout se passait en l’homme, il n’y avait rien d’extérieur. Il portait dans la société une figure grave et recueillie, silencieuse et froide. Il y eut beaucoup de succès, précisément parce qu’il tranchait fortement sur la masse des physionomies convenues qui meublent les salons de Paris, où il fut effectivement tout neuf. Sa parole avait la concision du langage des gens solitaires ou des sauvages. Sa timidité fut prise pour de la hauteur et plut beaucoup. Il était quelque chose d’étrange et de grand, et les femmes furent d’autant plus généralement éprises de ce caractère original, qu’il échappait à leurs adroites flatteries, à ce manége par lequel elles circonviennent les hommes les plus puissants, et corrodent les esprits les plus inflexibles. Monsieur de Montriveau ne comprenait rien à ces petites singeries parisiennes, et son âme ne pouvait répondre qu’aux sonores vibrations des beaux sentiments. Il eût promptement été laissé là, sans la poésie qui résultait de ses aventures et de sa vie, sans les prôneurs qui le vantaient à son insu, sans le triomphe d’amour propre qui attendait la femme dont il s’occuperait. Aussi la curiosité de la duchesse de Langeais était-elle vive autant que naturelle. Par un effet du hasard, cet homme l’avait intéressée la veille, car elle avait entendu raconter la veille une des scènes qui, dans le voyage de monsieur de Montriveau, produisaient le plus d’impression sur les mobiles imaginations de femme. Dans une excursion vers les sources du Nil, monsieur de Montriveau eut avec un de ses guides le débat le plus extraordinaire qui se connaisse dans les annales des voyages. Il avait un désert à traverser, et ne pouvait aller qu’à pied au lieu qu’il voulait explorer. Un seul guide était capable de l’y mener. Jusqu’alors aucun voyageur n’avait pu pénétrer dans cette partie de la contrée, où l’intrépide officier présumait devoir trouver la solution de plusieurs problèmes scientifiques. Malgré les représentations que lui firent et les vieillards du pays et son guide, il entreprit ce terrible voyage. S’armant de tout son cou-