Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/158

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se rejeta dans les groupes d’hommes qui se tenaient à quelque distance des femmes, plusieurs de ses amis le félicitèrent, moitié sérieusement, moitié plaisamment, sur l’accueil extraordinaire que lui avait fait la duchesse de Langeais. Cette difficile, cette illustre conquête, était décidément faite, et la gloire en avait été réservée à l’artillerie de la Garde. Il est facile d’imaginer les bonnes et mauvaises plaisanteries que ce thème, une fois admis, suggéra dans un de ces salons parisiens où l’on aime tant à s’amuser, et où les railleries ont si peu de durée que chacun s’empresse d’en tirer toute la fleur.

Ces niaiseries flattèrent à son insu le général. De la place où il s’était mis, ses regards furent attirés par mille réflexions indécises vers la duchesse ; et il ne put s’empêcher de s’avouer à lui-même que, de toutes les femmes dont la beauté avait séduit ses yeux, nulle ne lui avait offert une plus délicieuse expression des vertus, des défauts, des harmonies que l’imagination la plus juvénile puisse vouloir en France à une maîtresse. Quel homme, en quelque rang que le sort l’ait placé, n’a pas senti dans son âme une jouissance indéfinissable en rencontrant, chez une femme qu’il choisit, même rêveusement, pour sienne, les triples perfections morales, physiques et sociales qui lui permettent de toujours voir en elle tous ses souhaits accomplis ? Si ce n’est pas une cause d’amour, cette flatteuse réunion est certes un des plus grands véhicules du sentiment. Sans la vanité, disait un profond moralise du siècle dernier, l’amour est un convalescent. Il y a certes, pour l’homme comme pour la femme, un trésor de plaisirs dans la supériorité de la personne aimée. N’est-ce pas beaucoup, pour ne pas dire tout, de savoir que notre amour-propre ne souffrira jamais en elle ; qu’elle est assez noble pour ne jamais recevoir les blessures d’un coup d’œil méprisant, assez riche pour être entourée d’un éclat égal à celui dont s’environnent même les rois éphémères de la finance, assez spirituelle pour ne jamais être humiliée par une fine plaisanterie, et assez belle pour être la rivale de tout son sexe ? Ces réflexions, un homme les fait en un clin d’œil. Mais si la femme qui les lui inspire lui présente en même temps, dans l’avenir de sa précoce passion, les changeantes délices de la grâce, l’ingénuité d’une âme vierge, les mille plis du vêtement des coquettes, les dangers de l’amour, n’est-ce pas à remuer le cœur de l’homme le plus froid ? Voici dans quelle situation se trouvait en ce moment monsieur de