Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/18

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vidame, et il lui suffisait de dater de deux siècles pour prendre les airs et les opinions de ceux qui prétendent remonter à Clovis. Ce jeune homme pâle, long et fluet, délicat en apparence, homme d’honneur et de vrai courage d’ailleurs, qui se battait en duel sans hésiter pour un oui, pour un non, ne s’était encore trouvé sur aucun champ de bataille, et portait à sa boutonnière la croix de la Légion-d’Honneur. C’était, vous le voyez, une des fautes vivantes de la Restauration, peut-être la plus pardonnable. La jeunesse de ce temps n’a été la jeunesse d’aucune époque : elle s’est rencontrée entre les souvenirs de l’Empire et les souvenirs de l’Émigration, entre les vieilles traditions de la cour et les études consciencieuses de la bourgeoisie, entre la religion et les bals costumés, entre deux Fois politiques, entre Louis XVIII qui ne voyait que le présent, et Charles X qui voyait trop en avant ; puis, obligée de respecter la volonté du roi quoique la royauté se trompât. Cette jeunesse incertaine en tout, aveugle et clairvoyante, ne fut comptée pour rien par des vieillards jaloux de garder les rênes de l’État dans leurs mains débiles, tandis que la monarchie pouvait être sauvée par leur retraite, et par l’accès de cette jeune France de laquelle aujourd’hui les vieux doctrinaires, ces émigrés de la Restauration, se moquent encore. Auguste de Maulincour était une victime des idées qui pesaient alors sur cette jeunesse, et voici comment. Le vidame était encore, à soixante-sept ans, un homme très-spirituel, ayant beaucoup vu, beaucoup vécu, contant bien, homme d’honneur, galant homme, mais qui avait, à l’endroit des femmes, les opinions les plus détestables : il les aimait et les méprisait. Leur honneur, leurs sentiments ? Tarare, bagatelles et momeries ! Près d’elles, il croyait en elles, le ci-devant monstre, il ne les contredisait jamais, et les faisait valoir. Mais, entre amis, quand il en était question, le vidame posait en principe que tromper les femmes, mener plusieurs intrigues de front, devait être toute l’occupation des jeunes gens, qui se fourvoyaient en voulant se mêler d’autre chose dans l’État. Il est fâcheux d’avoir à esquisser un portrait si suranné. N’a-t-il pas figuré partout ? et littérairement, n’est-il pas presque aussi usé que celui d’un grenadier de l’empire ? Mais le vidame eut sur la destinée de monsieur de Maulincour une influence qu’il était nécessaire de consacrer ; il le moralisait à sa manière, et voulait le convertir aux doctrines du grand siècle de la galanterie. La douairière, femme tendre et pieuse, assise entre son vidame et Dieu, modèle de grâce