Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/396

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hommes. Et la femme se trouve si heureuse et si belle aux heures où elle est forte, qu’elle préfère à tous les hommes celui dont la force est énorme, fût-elle en danger d’être brisée par lui. Je fais l’inventaire de vos désirs afin de vous poser la question. Cette question, la voici. Nous avons une faim de loup, nos quenottes sont incisives, comment nous y prendrons-nous pour approvisionner la marmite ? Nous avons d’abord le Code à manger, ce n’est pas amusant, et ça n’apprend rien : mais il le faut. Soit. Nous nous faisons avocat pour devenir président d’une cour d’assises envoyer les pauvres diables qui valent mieux que nous avec T. F. sur l’épaule, afin de prouver aux riches qu’ils peuvent dormir tranquillement. Ce n’est pas drôle, et puis c’est long. D’abord, deux années à droguer dans Paris, à regarder, sans y toucher, les nanans dont nous sommes friands. C’est fatigant de désirer toujours sans jamais se satisfaire. Si vous étiez pâle et de la nature des mollusques, vous n’auriez rien à craindre ; mais nous avons le sang fiévreux des lions et un appétit à faire vingt sottises par jour. Vous succomberez donc à ce supplice, le plus horrible que nous ayons aperçu dans l’enfer du bon Dieu. Admettons que vous soyez sage, que vous buviez du lait et que vous fassiez des élégies ; il faudra, généreux comme vous l’êtes, commencer, après bien des ennuis et des privations à rendre un chien enragé, par devenir le substitut de quelque drôle, dans un trou de ville où le gouvernement vous jettera mille francs d’appointements, comme on jette une soupe à un dogue de boucher. Aboie après les voleurs, plaide pour le riche, fais guillotiner des gens de cœur. Bien obligé ! Si vous n’avez pas de protections, vous pourrirez dans votre tribunal de province. Vers trente ans, vous serez juge à douze cents francs par an, si vous n’avez pas encore jeté la robe aux orties. Quand vous aurez atteint la quarantaine, vous épouserez quelque fille de meunier, riche d’environ six mille livres de rente. Merci. Ayez des protections, vous serez procureur du roi à trente ans, avec mille écus d’appointements, et vous épouserez la fille du maire. Si vous faites quelques-unes de ces petites bassesses politiques, comme de lire sur un bulletin Villèle au lieu de Manuel (ça rime, ça met la conscience en repos), vous serez, à quarante ans, procureur général, et pourrez devenir député. Remarquez, mon cher enfant, que nous aurons fait des accrocs à notre petite conscience, que nous aurons eu vingt ans d’ennuis, de misères secrètes, et que nos sœurs