Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/104

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débuter au Panorama-Dramatique sous le nom de Mariette, comptait sur la protection d’un Premier Gentilhomme de la Chambre, à qui Vestris devait la présenter depuis long-temps. Vestris, encore vert à cette époque, ne trouvait pas son élève encore suffisamment savante. L’ambitieuse Marie Godeschal rendit fameux son pseudonyme de Mariette ; mais son ambition fut d’ailleurs très-louable. Elle avait un frère, clerc chez Derville. Orphelins et misérables, mais s’aimant tous deux, le frère et la sœur avaient vu la vie comme elle est à Paris : l’un voulait devenir avoué pour établir sa sœur, et vivait avec dix sous par jour ; l’autre avait résolu froidement de devenir danseuse, et de profiter autant de sa beauté que de ses jambes pour acheter une Étude à son frère. En dehors de leurs sentiments l’un pour l’autre, de leurs intérêts et de leur vie commune, tout, pour eux, était, comme autrefois pour les Romains et pour les Hébreux, barbare, étranger, ennemi. Cette amitié si belle, et que rien ne devait altérer, expliquait Mariette à ceux qui la connaissaient intimement. Le frère et la sœur demeuraient alors au huitième étage d’une maison de la Vieille rue du Temple. Mariette s’était mise à l’étude dès l’âge de dix ans, et comptait alors seize printemps. Hélas ! faute d’un peu de toilette, sa beauté trotte-menu, cachée sous un cachemire de poil de lapin, montée sur des patins en fer, vêtue d’indienne et mal tenue, ne pouvait être devinée que par les Parisiens adonnés à la chasse des grisettes et à la piste des beautés malheureuses. Philippe devint amoureux de Mariette. Mariette vit en Philippe le commandant aux Dragons de la Garde, l’officier d’ordonnance de l’Empereur, le jeune homme de vingt-sept ans et le plaisir de se montrer supérieure à Florentine par l’évidente supériorité de Philippe sur Giroudeau. Florentine et Giroudeau, lui pour faire le bonheur de son camarade, elle pour donner un protecteur son amie, poussèrent Mariette et Philippe à faire un mariage en détrempe. Cette expression du langage parisien équivaut à celle de mariage morganatique employée pour les rois et les reines. Philippe, en sortant, confia sa misère à Giroudeau ; mais le vieux roué le rassura beaucoup.

— Je parlerai de toi à mon neveu Finot, lui dit Giroudeau. Vois-tu, Philippe, le règne des péquins et des phrases est arrivé, soumettons-nous. Aujourd’hui l’écritoire fait tout. L’encre remplace la poudre, et la parole est substituée à la balle. Après tout, ces petits crapauds de rédacteurs sont très-ingénieux et assez bons enfants.