Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/115

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pas le marier. Si je lui avais trouvé une femme, il ne se serait pas lié avec cette danseuse. Il est si fortement constitué !…

La vieille commerçante avait aussi réfléchi, pendant la nuit, à la manière de sauver l’honneur de la famille. Au jour, elle quitta son lit et vint dans la chambre de son amie.

— Ce n’est ni à vous ni à Philippe à traiter cette affaire délicate, lui dit-elle. Si nos deux vieux amis, Claparon et du Bruel sont morts, il nous reste le père Desroches qui a une bonne judiciaire, et je vais aller chez lui ce matin. Desroches dira que Philippe a été victime de sa confiance dans un ami ; que sa faiblesse, en ce genre, le rend tout à fait impropre à gérer une caisse. Ce qui lui arrive aujourd’hui pourrait recommencer. Philippe préférera donner sa démission, il ne sera donc pas renvoyé.

Agathe, en voyant par ce mensonge officieux l’honneur de son fils mis à couvert, au moins aux yeux des étrangers, embrassa la Descoings, qui sortit arranger cette horrible affaire. Philippe avait dormi du sommeil des justes.

— Elle est rusée, la vieille ! dit-il en souriant quand Agathe apprit à son fils pourquoi leur déjeuner était retardé.

Le vieux Desroches, le dernier ami de ces deux pauvres femmes, et qui, malgré la dureté de son caractère, se souvenait toujours d’avoir été placé par Bridau, s’acquitta, en diplomate consommé, de la mission délicate que lui confia la Descoings. Il vint dîner avec la famille, avertir Agathe d’aller signer le lendemain au Trésor, rue Vivienne, le transfert de la partie de la rente vendue, et de retirer le coupon de six cents francs qui lui restait. Le vieil employé ne quitta pas cette maison désolée sans avoir obtenu de Philippe de signer une pétition au Ministre de la Guerre par laquelle il demandait sa réintégration dans les cadres de l’armée. Desroches promit aux deux femmes de suivre la pétition dans les Bureaux de la Guerre, et de profiter du triomphe du duc sur Philippe chez la danseuse pour obtenir protection de ce grand seigneur.

— Avant trois mois, il sera lieutenant-colonel dans le régiment du duc de Maufrigneuse, et vous serez débarrassées de lui.

Desroches s’en alla comblé des bénédictions des deux femmes et de Joseph. Quant au journal, deux mois après, selon les prévisions de Finot, il cessa de paraître. Ainsi la faute de Philippe n’eut, dans le monde, aucune portée. Mais la maternité d’Agathe avait reçu la plus profonde blessure. Sa croyance en son fils une fois ébranlée,