Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/132

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de son visage, au cri qu’elle jeta, le vieux Desroches et Joseph la portèrent sur son lit. Agathe alla chercher un médecin. L’apoplexie foudroyait la pauvre femme, qui ne reprit sa connaissance que vers les quatre heures du soir ; le vieil Haudry, son médecin, annonça que, malgré ce mieux, elle devait penser à ses affaires et à son salut. Elle n’avait prononcé qu’un seul mot : — Trois millions !…

Desroches, le père, mis au fait des circonstances, mais avec les réticences nécessaires, par Joseph, cita plusieurs exemples de joueurs à qui la fortune avait échappé le jour où ils avaient par fatalité oublié de faire leurs mises ; mais il comprit combien un pareil coup devait être mortel quand il arrivait après vingt ans de persévérance. À cinq heures, au moment où le plus profond silence régnait dans ce petit appartement et où la malade, gardée par Joseph et par sa mère, assis l’un au pied, l’autre au chevet du lit, attendait son petit-fils que le vieux Desroches était allé chercher, le bruit des pas de Philippe et celui de sa canne retentirent dans l’escalier.

— Le voilà ! le voilà ! s’écria la Descoings qui se mit sur son séant et put remuer sa langue paralysée.

Agathe et Joseph furent impressionnés par le mouvement d’horreur qui agitait si vivement la malade. Leur pénible attente fut entièrement justifiée par le spectacle de la figure bleuâtre et décomposée de Philippe, par sa démarche chancelante, par l’état horrible de ses yeux profondément cernés, ternes, et néanmoins hagards ; il avait un violent frisson de fièvre, ses dents claquaient.

— Misère en Prusse ! s’écria-t-il. Ni pain ni pâte, et j’ai le gosier en feu Eh ! bien, qu’y a-t-il ? Le diable se mêle toujours de nos affaires. Ma vieille Descoings est au lit et me fait des yeux grands comme des soucoupes…

— Taisez-vous, monsieur, lui dit Agathe en se levant, et respectez au moins le malheur que vous avez causé.

— Oh ! monsieur ?… dit-il en regardant sa mère. Ma chère petite mère, ce n’est pas bien, vous n’aimez donc plus votre garçon ?

— Êtes-vous digne d’être aimé ? ne vous souvenez-vous plus de ce que vous avez fait hier ? Aussi pensez à chercher un appartement, vous ne demeurerez plus avec nous. À compter de demain, reprit-elle, car, dans l’état où vous êtes, il est bien difficile…

— De me chasser, n’est-ce pas ? reprit-il. Ah ! vous jouez ici le mélodrame du Fils banni ? Tiens ! tiens ! voilà comment vous