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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/143

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ses restes de chevelure ébouriffés autour de son crâne couleur beurre frais offraient je ne sais quoi d’éraillé, de libidineux. Il portait une vieille redingote gris de fer ornée de la rosette d’officier de la Légion-d’Honneur, et qui croisait difficilement sur un ventre de cuisinier en harmonie avec sa bouche fendue jusqu’aux oreilles, avec de fortes épaules. Son torse reposait sur de petites jambes grêles. Enfin il montrait un teint enluminé aux pommettes qui révélait une vie joyeuse. Le bas des joues, fortement ridé, débordait un col de velours noir usé. Entre autres enjolivements, l’ex-dragon avait d’énormes boucles d’or aux oreilles.

— Quel noceur ! se dit Joseph en employant une expression populaire passée dans les ateliers.

— Madame, dit l’oncle et le caissier de Finot, votre fils se trouve dans une situation si malheureuse, qu’il est impossible à ses amis de ne pas vous prier de partager les charges assez lourdes qu’il leur impose ; il ne peut plus remplir sa place au journal, et mademoiselle Florentine de la Porte-Saint-Martin le loge chez elle, rue de Vendôme, dans une pauvre mansarde. Philippe est mourant, si son frère et vous vous ne pouvez payer le médecin et les remèdes, nous allons être forcés, dans l’intérêt même de sa guérison, de le faire transporter aux Capucins ; tandis que pour trois cents francs nous le garderions : il lui faut absolument une garde, il sort le soir pendant que mademoiselle Florentine est au théâtre, il prend alors des choses irritantes, contraires à sa maladie et à son traitement ; et comme nous l’aimons, il nous rend vraiment malheureux. Ce pauvre garçon a engagé sa pension pour trois ans, il est remplacé provisoirement au journal et n’a plus rien ; mais il va se tuer, madame, si nous ne le mettons pas à la maison de santé du docteur Dubois. Cet hospice décent coûtera dix francs par jour. Nous ferons, Florentine et moi, la moitié d’un mois, faites l’autre ?… Allez ! il n’en aura guère que pour deux mois !

— Monsieur, il est difficile qu’une mère ne vous soit pas éternellement reconnaissante de ce que vous faites pour son fils, répondit Agathe ; mais ce fils est retranché de mon cœur ; et, quant à de l’argent, je n’en ai point. Pour ne pas être à la charge de mon fils que voici, qui travaille nuit et jour, qui se tue et qui mérite tout l’amour de sa mère, j’entre après demain dans un bureau de loterie comme sous-gérante. À mon âge !

— Et vous, jeune homme, dit le vieux dragon à Joseph, voyons ?