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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

fut remplacé par un capitaine nommé Carpentier, resté comme lui fidèle à Napoléon. Déjà Grand-Maître de l’ordre de la Désœuvrance, Gilet avait pris un genre de vie qui lui fit perdre la considération des premières familles de la ville, sans qu’on le lui témoignât d’ailleurs ; car il était violent et redouté par tout le monde, même par les officiers de l’ancienne armée, qui refusèrent comme lui de servir, et qui revinrent planter leurs choux en Berry. Le peu d’affection des gens nés à Issoudun pour les Bourbons n’a rien de surprenant d’après le tableau qui précède. Aussi, relativement à son peu d’importance, y eut-il dans cette petite ville plus de Bonapartistes que partout ailleurs. Les Bonapartistes se firent, comme on sait, presque tous Libéraux. On comptait à Issoudun ou dans les environs une douzaine d’officiers dans la position de Maxence, et qui le prirent pour chef, tant il leur plut ; à l’exception cependant de ce Carpentier, son successeur, et d’un certain monsieur Mignonnet, ex-capitaine d’artillerie dans la Garde. Carpentier, officier de cavalerie parvenu, se maria tout d’abord, et appartint à l’une des familles les plus considérables de la ville, les Borniche-Héreau. Mignonnet, élevé à l’École Polytechnique, avait servi dans un corps qui s’attribue une espèce de supériorité sur les autres. Il y eut, dans les armées impériales, deux nuances chez les militaires. Une grande partie eut pour le bourgeois, pour le péquin, un mépris égal à celui des nobles pour les vilains, du conquérant pour le conquis. Ceux-là n’observaient pas toujours les lois de l’honneur dans leurs relations avec le Civil, ou ne blâmaient pas trop ceux qui sabraient le bourgeois. Les autres, et surtout l’Artillerie, par suite de son républicanisme peut-être, n’adoptèrent pas cette doctrine, qui ne tendait à rien moins qu’à faire deux Frances : une France militaire et une France civile. Si donc le commandant Potel et le capitaine Renard, deux officiers du faubourg de Rome, dont les opinions sur les péquins ne varièrent pas, furent les amis quand même de Maxence Gilet, le commandant Mignonnet et le capitaine Carpentier se rangèrent du côté de la bourgeoisie, en trouvant la conduite de Max indigne d’un homme d’honneur. Le commandant Mignonnet, petit homme sec, plein de dignité, s’occupa des problèmes que la machine à vapeur offrait à résoudre, et vécut modestement en faisant sa société de monsieur et de madame Carpentier. Ses mœurs douces et ses occupations scientifiques lui méritèrent la considération de toute la ville. Aussi disait-on que messieurs Mignonnet et Carpen-