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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

ne fut pas assez : un jour, sa femme, en voulant aller à la messe, trouva son châle intérieurement collé par une substance si tenace, qu’elle fut obligée de s’en passer. Le Sous-Préfet demanda son changement. La couardise et la soumission de ce fonctionnaire établirent définitivement l’autorité drolatique et occulte des Chevaliers de la Désœuvrance.

Entre la rue des Minimes et la place Misère, il existait alors une portion de quartier encadrée par le bras de la Rivière-Forcée vers le bas, et en haut par le rempart, à partir de la Place d’Armes jusqu’au Marché à la Poterie. Cet espèce de carré informe était rempli par des maisons d’un aspect misérable, pressées les unes contre les autres et divisées par des rues si étroites, qu’il est impossible d’y passer deux à la fois. Cet endroit de la ville, espèce de Cour des Miracles, était occupé par des gens pauvres ou exerçant des professions peu lucratives, logés dans ces taudis et dans des logis si pittoresquement appelés, en langage familier, des maisons borgnes. À toutes les époques, ce fut sans doute un quartier maudit, repaire des gens de mauvaise vie, car une de ces rues se nomme la rue du Bourriau. Il est constant que le bourreau de la ville y eut sa maison à porte rouge pendant plus de cinq siècles. L’aide du bourreau de Châteauroux y demeure encore, s’il faut en croire le bruit public, car la bourgeoisie ne le voit jamais. Les vignerons entretiennent seuls des relations avec cet être mystérieux qui a hérité de ses prédécesseurs le don de guérir les fractures et les plaies. Jadis les filles de joie, quand la ville se donnait des airs de capitale, y tenaient leurs assises. Il y avait des revendeurs de choses qui semblent ne pas devoir trouver d’acheteurs, puis des fripiers dont l’étalage empeste, enfin cette population apocryphe qui se rencontre dans un lieu semblable en presque toutes les villes, et où dominent un ou deux juifs. Au coin d’une de ces rues sombres, du côté le plus vivant de ce quartier, il exista de 1815 à 1823, et peut-être plus tard, un bouchon tenu par une femme appelée la mère Cognette. Ce bouchon consistait en une maison assez bien bâtie en chaînes de pierre blanche dont les intervalles étaient remplis de moellons et de mortier, élevée d’un étage et d’un grenier. Au-dessus de la porte, brillait cette énorme branche de pin semblable à du bronze de florence. Comme si ce symbole ne parlait pas assez, l’œil était saisi par le bleu d’une affiche collée au chambranle et où se voyait au-dessous de ces mots : BONNE BIÈRE DE MARS, un sol-