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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

fonds de terre que possédait le père Rouget, constituaient la passion de Gilet pour Flore Brazier, croyez-le bien ? À la manière dont il se conduisait, il est facile d’apercevoir combien de sécurité la Rabouilleuse avait su lui inspirer sur l’avenir financier qu’elle devait à la tendresse du vieux garçon. Néanmoins, la nouvelle de l’arrivée des héritiers légitimes était de nature à ébranler la foi de Max dans le pouvoir de Flore. Les économies faites depuis dix-sept ans étaient encore placées au nom de Rouget. Or si le testament, que Flore disait avoir été fait depuis longtemps en sa faveur, se révoquait, ces économies pouvaient du moins être sauvées en les faisant mettre au nom de mademoiselle Brazier.

— Cette imbécile de fille ne m’a pas dit, en sept ans, un mot des neveux et de la sœur ! s’écria Max en tournant de la rue Marmouse dans la rue l’Avenier. Sept cent cinquante mille francs placés dans dix ou douze études différentes, à Bourges, à Vierzon, à Châteauroux, ne peuvent ni se réaliser ni se placer sur l’État, en une semaine, et sans qu’on le sache dans un pays à disettes ! Avant tout, il faut se débarrasser de la parenté ; mais une fois que nous en serons délivrés, nous nous dépêcherons de réaliser cette fortune. Enfin, j’y songerai…

Max était fatigué. À l’aide de son passe-partout, il rentra chez le père Rouget, et se coucha sans faire de bruit, en se disant : — Demain, mes idées seront nettes.

Il n’est pas inutile de dire d’où venait à la sultane de la Place Saint-Jean ce surnom de Rabouilleuse, et comment elle s’était impatronisée dans la maison Rouget.

En avançant en âge, le vieux médecin, père de Jean-Jacques et de madame Bridau, s’aperçut de la nullité de son fils ; il le tint alors assez durement, afin de le jeter dans une routine qui lui servît de sagesse ; mais il le préparait ainsi, sans le savoir, à subir le joug de la première tyrannie qui pourrait lui passer un licou. Un jour, en revenant de sa tournée, ce malicieux et vicieux vieillard aperçut une petite fille ravissante au bord des prairies dans l’avenue de Tivoli. Au bruit du cheval, l’enfant se dressa du fond d’un des ruisseaux qui, vus du haut d’Issoudun, ressemblent à des rubans d’argent au milieu d’une robe verte. Semblable à une naïade, la petite montra soudain au docteur une des plus belles têtes de vierge que jamais un peintre ait pu rêver. Le vieux Rouget, qui connaissait tout le pays, ne connaissait pas ce miracle de beauté. La fille, quasi