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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/190

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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

— Non, non, si vous vouliez, vous, reprit Rouget. Oui, vous pouvez être… la maîtresse. Tout ce qui est ici sera pour vous, vous y prendrez soin de ma fortune, elle sera quasiment la vôtre… car je vous aime, et vous ai toujours aimée depuis le moment où vous êtes entrée, ici, là, pieds nus.

Flore ne répondit pas. Quand le silence devint gênant, Jean-Jacques inventa cet argument horrible : — Voyons, cela ne vaut-il pas mieux que de retourner aux champs ? lui demanda-t-il avec une visible ardeur.

— Dame ! monsieur Jean, comme vous voudrez, répondit-elle.

Néanmoins, malgré ce : comme vous voudrez ! le pauvre Rouget ne se trouva pas plus avancé. Les hommes de ce caractère ont besoin de certitude. L’effort qu’ils font en avouant leur amour est si grand et leur coûte tant, qu’ils se savent hors d’état de le recommencer. De là vient leur attachement à la première femme qui les accepte. On ne peut présumer les événements que par le résultat. Dix mois après la mort de son père, Jean-Jacques changea complètement : son visage pâle et plombé, dégradé par des boutons aux tempes et au front, s’éclaircit, se nettoya, se colora de teintes rosées. Enfin sa physionomie respira le bonheur. Flore exigea que son maître prît des soins minutieux de sa personne, elle mit son amour-propre à ce qu’il fût bien mis ; elle le regardait s’en allant à la promenade en restant sur le pas de la porte, jusqu’à ce qu’elle ne le vit plus. Toute la ville remarqua ces changements, qui firent de Jean-Jacques un tout autre homme.

— Savez-vous la nouvelle ? se disait-on dans Issoudun.

— Eh ! bien, quoi ?

— Jean-Jacques a tout hérité de son père, même la Rabouilleuse…

— Est-ce que vous ne croyez pas feu le docteur assez malin pour avoir laissé une gouvernante à son fils ?

— C’est un trésor pour Rouget, c’est vrai, fut le cri général.

— C’est une finaude ! elle est bien belle, elle se fera épouser.

— Cette fille-là a-t-elle eu de la chance !

— C’est une chance qui n’arrive qu’aux belles filles.

— Ah ! bah, vous croyez cela, mais j’ai eu mon oncle Borniche-Héreau. Eh ! bien, vous avez entendu parler de mademoiselle Ganivet, elle était laide comme les sept péchés capitaux, elle n’en a pas moins eu de lui mille écus de rente…