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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

trer le secret de la grande opération qui se pratiquait sur la fortune du père Rouget, puis pour toujours tenir ses amis en haleine. Or, les Chevaliers étaient convenus de faire un de ces tours dont on parlait pendant des années entières. Ils devaient donner, dans une seule nuit, des boulettes à tous les chiens de garde de la ville et des faubourgs ; Fario les entendit, au sortir du bouchon à la Cognette, s’applaudissant par avance du succès qu’obtiendrait cette farce, et du deuil général que causerait ce nouveau massacre des innocents. Puis quelles appréhensions ne causerait pas cette exécution en annonçant des desseins sinistres sur les maisons privées de leurs gardiens ?

— Cela fera peut-être oublier la charrette à Fario ! dit le fils Goddet.

Fario n’avait déjà plus besoin de ce mot qui confirmait ses soupçons ; et, d’ailleurs, son parti était pris.

Agathe, après trois semaines de séjour, reconnaissait, ainsi que madame Hochon, la vérité des réflexions du vieil avare : il fallait plusieurs années pour détruire l’influence acquise sur son frère par la Rabouilleuse et par Max. Agathe n’avait fait aucun progrès dans la confiance de Jean-Jacques, avec qui jamais elle n’avait pu se trouver seule. Au contraire, mademoiselle Brazier triomphait des héritiers en menant promener Agathe dans la calèche, assise au fond près d’elle, ayant monsieur Rouget et son neveu sur le devant. La mère et le fils attendaient avec impatience une réponse à la lettre confidentielle écrite à Desroches. Or, la veille du jour où les chiens devaient être empoisonnés, Joseph, qui s’ennuyait à périr à Issoudun, reçut deux lettres, la première du grand peintre Schinner dont l’âge lui permettait une liaison plus étroite, plus intime qu’avec Gros, leur maître, et la seconde de Desroches.

Voici la première timbrée de Beaumont-sur-Oise :

« Mon cher Joseph, j’ai achevé, pour le comte de Sérizy, les principales peintures du château de Presles. J’ai laissé les encadrements, les peintures d’ornement ; et je t’ai si bien recommandé, soit au comte, soit à Grindot l’architecte, que tu n’as qu’à prendre tes brosses et à venir. Les prix sont faits de manière à te contenter. Je pars pour l’Italie avec ma femme, tu peux donc prendre Mistigris qui t’aidera. Ce jeune drôle a du talent, je l’ai mis à ta disposition. Il frétille déjà comme un pierrot en pensant à s’amuser au château de Presles. Adieu, mon cher Joseph ; si je suis absent,