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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

tre, franc comme l’osier, raconta la scène qu’il venait d’avoir, et qui, dans deux heures, devint la conversation de toute la ville, où chacun la broda de circonstances plus ou moins drôles. Quelques-uns soutenaient que le peintre avait été malmené par Max, d’autres qu’il s’était mal conduit avec mademoiselle Brazier, et que Max l’avait mis à la porte.

— Quel enfant que votre enfant !… disait Hochon à madame Bridau. Le nigaud a été la dupe d’une scène qu’on lui réservait pour le jour de ses adieux. Il y a quinze jours que Max et la Rabouilleuse savaient la valeur des tableaux quand il a eu la sottise de le dire ici devant mes petits-enfants, qui n’ont eu rien de plus chaud que d’en parler à tout le monde. Votre artiste aurait dû partir à l’improviste.

— Mon fils fait bien de rendre les tableaux s’ils ont tant de valeur, dit Agathe.

— S’ils valent, selon lui, deux cent mille francs, dit le vieil Hochon, c’est une bêtise que de s’être mis dans le cas de les rendre ; car vous auriez du moins eu cela de cette succession, tandis qu’à la manière dont vont les choses vous n’en aurez rien !… Et voilà presque une raison pour votre frère de ne plus vous voir…

Entre minuit et une heure, les Chevaliers de la Désœuvrance commencèrent leur distribution gratuite de comestibles aux chiens de la ville. Cette mémorable expédition ne fut terminée qu’à trois heures du matin, heure à laquelle ces mauvais drôles allèrent souper chez la Cognette. À quatre heures et demie, au crépuscule, ils rentrèrent chez eux. Au moment où Max tourna la rue de l’Avenier pour entrer dans la Grand’rue, Fario, qui se tenait en embuscade dans un renfoncement, lui porta un coup de couteau, droit au cœur, retira la lame, et se sauva par les fossés de Villate où il essuya son couteau dans son mouchoir. L’Espagnol alla laver son mouchoir à la Rivière-Forcée, et revint tranquillement à Saint-Paterne où il se recoucha, en escaladant une fenêtre qu’il avait laissée entr’ouverte, et il fut réveillé par son nouveau garçon qui le trouva dormant du plus profond sommeil.

En tombant, Max jeta un cri terrible, auquel personne ne pouvait se méprendre. Lousteau-Prangin, le fils d’un juge, parent éloigné de la famille de l’ancien Subdélégué, et le fils Goddet qui demeurait dans le bas de la Grand’rue, remontèrent au pas de course en se disant : — On tue Max !… au secours ! Mais aucun chien n’aboya,