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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

dun, répondit Joseph, je vous en fais mon compliment. J’ai déjà failli être lapidé…

— Voulez-vous voir prendre d’assaut et piller la maison de votre hôte ? dit le lieutenant. Est-ce avec nos sabres que nous résisterons à un flot de monde poussé par une queue de gens irrités et qui ne connaissent pas les formes de la justice ?…

— Oh ! allons, messieurs, nous nous expliquerons après, dit Joseph qui recouvra tout son sang-froid.

— Place ! mes amis, dit le lieutenant, il est arrêté, nous le conduisons au Palais !

— Respect à la justice ! mes amis, dit monsieur Mouilleron.

— N’aimerez-vous pas mieux le voir guillotiner ? disait un des gendarmes à un groupe menaçant.

— Oui ! oui, fit un furieux, on le guillotinera.

— On va le guillotiner, répétèrent des femmes.

Au bout de la Grande-Narette, on se disait : — On l’emmène pour le guillotiner, on lui a trouvé le couteau ! — Oh. ! le gredin ! — Voilà les Parisiens. — Celui-là portait bien le crime sur sa figure.

Quoique Joseph eût tout le sang à la tête, il fit le trajet de la place Saint-Jean au Palais en gardant un calme et un aplomb remarquables. Néanmoins, il fut assez heureux de se trouver dans le cabinet de monsieur Lousteau-Prangin.

— Je n’ai pas besoin, je crois, messieurs, de vous dire que je suis innocent, dit-il en s’adressant à monsieur Mouilleron, à monsieur Lousteau-Prangin et au greffier, je ne puis que vous prier de m’aider à prouver mon innocence. Je ne sais rien de l’affaire…

Quand le juge eut déduit à Joseph toutes les présomptions qui pesaient sur lui, en terminant par la déclaration de Max, Joseph fut atterré.

— Mais, dit-il, je suis sorti de la maison après cinq heures ; j’ai pris par la Grand’rue, et à cinq heures et demie je regardais la façade de votre paroisse de Saint-Cyr. J’y ai causé avec le sonneur qui venait sonner l’'angelus, en lui demandant des renseignements sur l’édifice qui me semble bizarre et inachevé. Puis j’ai traversé le marché aux Légumes où il y avait déjà des femmes. De là, par la place Misère, j’ai gagné, par le pont aux Ânes, le moulin de Landrôle, où j’ai regardé tranquillement des canards pendant cinq à six minutes, et les garçons meuniers ont dû me remarquer. J’ai vu des femmes allant au lavoir, elles doivent y être encore ;