Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
277
LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

Quoique menacé par les deux officiers d’un procès et de la perte de sa place, le Polonais venait de s’enfuir à Vatan sur un cheval de louage, afin d’annoncer à Maxence et à Flore le coup de main de leur adversaire. Après avoir accompli sa mission, Carpentier, qui ne voulait pas revenir avec la Rabouilleuse, devait prendre le cheval de Benjamin.

En apprenant la fuite de Kouski, Philippe dit à Benjamin : — Tu remplaceras ici, dès ce soir, le Polonais. Ainsi tâche de grimper derrière la calèche à l’insu de Flore, pour te trouver ici en même temps qu’elle. — Ça se dessine, papa Hochon ! fit le lieutenant-colonel. Après-demain le banquet sera jovial.

— Vous allez vous établir ici, dit le vieil avare.

— Je viens de dire à Fario de m’y envoyer toutes mes affaires.

Je coucherai dans la chambre dont la porte est sur le palier de l’appartement de Gilet, mon oncle y consent.

— Qu’arrivera-t-il de tout ceci ? dit le bonhomme épouvanté.

— Il vous arrivera mademoiselle Flore Brazier dans quatre heures d’ici, douce comme une brebis, répondit monsieur Hochon.

— Dieu le veuille ! fit le bonhomme en essuyant ses larmes.

— Il est sept heures, dit Philippe, la reine de votre cœur sera vers onze heures et demie ici. Vous n’y verrez plus Gilet, ne serez vous pas heureux comme un pape ? Si vous voulez que je triomphe, ajouta Philippe à l’oreille de monsieur Hochon, restez avec nous jusqu’à l’arrivée de cette singesse, vous m’aiderez à maintenir le bonhomme dans sa résolution ; puis, à nous deux, nous ferons comprendre à mademoiselle la Rabouilleuse ses vrais intérêts.

Monsieur Hochon tint compagnie à Philippe en reconnaissant la justesse de sa demande ; mais ils eurent tous deux fort à faire, car le père Rouget se livrait à des lamentations d’enfant qui ne cédèrent que devant ce raisonnement répété dix fois par Philippe :

— Mon oncle, si Flore revient, et qu’elle soit tendre pour vous, vous reconnaîtrez que j’ai eu raison. Vous serez choyé, vous garderez vos rentes, vous vous conduirez désormais par mes conseils, et tout ira comme le Paradis.

Quand, à onze heures et demie, on entendit le bruit du berlingot dans la Grande-Narrette, la question fut de savoir si la voiture revenait pleine ou vide. Le visage de Rouget offrit alors l’expression d’une horrible angoisse, qui fut remplacée par l’abattement