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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

qui m’avait conseillé des choses horribles, et il me tue aussi. Dieu se sert de lui comme d’un fléau !… Conduisez-vous bien, car nous avons tous notre Philippe.

— Laissez-moi seul avec elle, dit Bianchon, que je sache si la maladie est guérissable.

— Si on la guérissait, Philippe Bridau crèverait de rage, dit Desroches ; aussi vais-je faire constater l’état dans lequel se trouve sa femme ; il ne l’a pas fait condamner comme adultère, elle jouit de tous ses droits d’épouse ; il aura le scandale d’un procès. Nous allons d’abord faire transporter madame la comtesse dans la maison de santé du docteur Dubois, rue du Faubourg-Saint-Denis : elle y sera soignée avec luxe. Puis, je vais assigner le comte en réintégration du domicile conjugal.

— Bravo, Desroches ! s’écria Bixiou. Quel plaisir d’inventer du bien qui fera tant de mal !

Dix minutes après, Bianchon descendit et dit à ses deux amis : — Je cours chez Desplein, il peut sauver cette femme par une opération. Ah ! il va bien la faire soigner, car l’abus des liqueurs a développé chez elle une magnifique maladie qu’il croyait perdue.

— Farceur de médecin, va ! Est-ce qu’il n’y a qu’une maladie ? demanda Bixiou.

Mais Bianchon était déjà dans la cour, tant il avait hâte d’annoncer à Desplein cette grande nouvelle. Deux heures après, la malheureuse belle-sœur de Joseph fut conduite dans l’hospice décent créé par le docteur Dubois et qui fut, plus tard, acheté par la Ville de Paris. Trois semaines après, la Gazette des Hôpitaux contenait le récit d’une des plus audacieuses tentatives de la chirurgie moderne sur une malade désignée par les initiales F. B. Le sujet succomba, bien plus à cause de l’état de faiblesse où l’avait mis la misère que par les suites de l’opération. Aussitôt, le colonel comte de Brambourg alla voir le comte de Soulanges, en grand deuil, et l’instruisit de la perte douloureuse qu’il venait de faire. On se dit à l’oreille dans le grand monde que le comte de Soulanges mariait sa fille à un parvenu de grand mérite qui devait être nommé maréchal-de-camp et colonel d’un régiment de la Garde Royale. De Marsay donna cette nouvelle à Rastignac qui en causa dans un souper au Rocher de Cancale où se trouvait Bixiou.

— Cela ne se fera pas ! se dit en lui-même le spirituel artiste.

Si, parmi les amis que Philippe méconnut, quelques-uns, comme