Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/331

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N’en oubliez ni la redingote olive, ni le manteau, ni le col en maroquin, ni la pipe, ni la chemise de calicot à raies bleues. Dans cette figure, si originale qu’elle résiste au frottement, combien de natures diverses ne découvrirez-vous pas ? Voyez ! quel athlète, quel cirque, quelles armes : lui, le monde et sa langue. Intrépide marin, il s’embarque, muni de quelques phrases, pour aller pêcher cinq à six cent mille francs en des mers glacées, au pays des Iroquois, en France ! Ne s’agit-il pas d’extraire, par des opérations purement intellectuelles, l’or enfoui dans les cachettes de province, de l’en extraire sans douleur ! Le poisson départemental ne souffre ni le harpon ni les flambeaux, et ne se prend qu’à la nasse, à la seine, aux engins les plus doux. Penserez-vous maintenant sans frémir au déluge des phrases qui recommence ses cascades au point du jour, en France ? Vous connaissez le Genre, voici l’Individu.

Il existe à Paris un incomparable Voyageur, le parangon de son espèce, un homme qui possède au plus haut degré toutes les conditions inhérentes à la nature de ses succès. Dans sa parole se rencontre à la fois du vitriol et de la glu : de la glu, pour appréhender, entortiller sa victime et se la rendre adhérente ; du vitriol, pour en dissoudre les calculs les plus durs. Sa partie était le chapeau ; mais son talent et l’art avec lequel il savait engluer les gens lui avaient acquis une si grande célébrité commerciale, que les négociants de l’Article-Paris lui faisaient tous la cour afin d’obtenir qu’il daignât se charger de leurs commissions. Aussi, quand, au retour de ses marches triomphales, il séjournait à Paris, était-il perpétuellement en noces et festins ; en province, les correspondants le choyaient ; à Paris, les grosses maisons le caressaient. Bienvenu, fêté, nourri partout ; pour lui, déjeuner ou dîner seul était une débauche, un plaisir. Il menait une vie de souverain, ou mieux de journaliste. Mais n’était-il pas le vivant feuilleton du commerce parisien ? Il se nommait Gaudissart, et sa renommée, son crédit, les éloges dont il était accablé, lui avaient valu le surnom d’illustre. Partout où ce garçon entrait, dans un comptoir comme dans une auberge, dans un salon comme dans une diligence, dans une mansarde comme chez un banquier, chacun de dire en le voyant : — Ah ! voilà l’illustre Gaudissart. Jamais nom ne fut plus en harmonie avec la tournure, les manières, la physionomie, la voix, le langage d’aucun homme. Tout souriait au Voyageur et le Voyageur souriait à tout. Similia similibus, il était pour l’homœopa-