Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/341

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une querelle à propos des journaux et de mes opinions. J’étais à manger tranquillement à côté d’un monsieur, en chapeau gris, qui lisait les Débats. Je me dis en moi-même : — Faut que j’essaie mon éloquence de tribune. En voilà un qui est pour la dynastie, je vais essayer de le cuire. Ce triomphe serait une fameuse assurance de mes talents ministériels. Et je me mets à l’ouvrage, en commençant par lui vanter son journal. Hein ! c’était tiré de longueur. De fil en ruban, je me mets à dominer mon homme, en lâchant les phrases à quatre chevaux, les raisonnements en fa-dièze et toute la sacrée machine. Chacun m’écoutait, et je vis un homme qui avait du juillet dans les moustaches, près de mordre au Mouvement. Mais je ne sais pas comment j’ai laissé mal à propos échapper le mot ganache. Bah ! voilà mon chapeau dynastique, mon chapeau gris, mauvais chapeau du reste, un Lyon moitié soie, moitié coton, qui prend le mors aux dents et se fâche. Moi je ressaisis mon grand air, tu sais, et je lui dis : — Ah ! çà, monsieur, vous êtes un singulier pistolet. Si vous n’êtes pas content, je vous rendrai raison. Je me suis battu en Juillet. — Quoique père de famille, me dit-il, je suis prêt à… — Vous êtes père de famille, mon cher monsieur, lui répondis-je. Auriez-vous des enfants ? — Oui, monsieur. — De onze ans ? — À peu près. — Hé ! bien, monsieur, le journal des Enfants va paraître : six francs par an, un numéro par mois, deux colonnes, rédigé par les sommités littéraires, un journal bien conditionné, papier solide, gravures dues aux crayons spirituels de nos meilleurs artistes, de véritables dessins des Indes et dont les couleurs ne passeront pas. Puis je lâche ma bordée. Voilà un père confondu ! La querelle a fini par un abonnement. — Il n’y a que Gaudissart pour faire de ces tours-là ! disait le petit criquet de Lamard à ce grand imbécile de Bulot en lui racontant la scène au café.

Je pars demain pour Amboise. Je ferai Amboise en deux jours, et t’écrirai maintenant de Tours, où je vais tenter de me mesurer avec les campagnes les plus incolores, sous le rapport intelligent et spéculatif. Mais, foi de Gaudissart ! on les roulera ! ils seront roulés ! roulés ! Adieu, ma petite, aime-moi toujours, et sois fidèle. La fidélité quand même est une des qualités de la femme libre. Qui est-ce qui t’embrasse sur les œils ?

« Ton Félix, pour toujours. »