Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/348

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pendant un mois ? Monsieur et madame Vernier jouèrent si bien leur rôle que Gaudissart ne conçut aucune défiance, et donna pleinement dans le piége ; il offrit galamment le bras à madame Vernier, et crut avoir fait, pendant le chemin, la conquête des deux dames, avec lesquelles il fut étourdissant d’esprit, de pointes et de calembours incompris.

La maison du prétendu banquier était située à l’endroit où commence la Vallée Coquette. Ce logis, appelé La Fuye, n’avait rien de bien remarquable. Au rez-de-chaussée se trouvait un grand salon boisé, de chaque côté duquel était une chambre à coucher, celle du bonhomme et celle de sa femme. On entrait dans le salon par un vestibule qui servait de salle à manger, et auquel communiquait la cuisine. Ce rez-de-chaussée, dénué de l’élégance extérieure qui distingue les plus humbles maisons en Touraine, était couronné par des mansardes auxquelles on montait par un escalier bâti en dehors de la maison, appuyé sur un des pignons et couvert d’un appentis. Un petit jardin, plein de soucis, de seringas, de sureaux, séparait l’habitation des clos. Autour de la cour, s’élevaient les bâtiments nécessaires à l’exploitation des vignes.

Assis dans son salon, près d’une fenêtre, sur un fauteuil en velours d’Utrecht jaune, Margaritis ne se leva point en voyant entrer les deux dames et Gaudissart, il pensait à vendre ses deux pièces de vin. C’était un homme sec, dont le crâne chauve par-devant, garni de cheveux rares par derrière, avait une conformation piriforme. Ses yeux enfoncés, surmontés de gros sourcils noirs et fortement cernés ; son nez en lame de couteau ; ses os maxillaires saillants, et ses joues creuses ; ses lignes généralement oblongues, tout, jusqu’à son menton démesurément long et plat, contribuait à donner à sa physionomie un air étrange, celui d’un vieux professeur de rhétorique ou d’un chiffonnier.

— Monsieur Margaritis, lui dit madame Vernier, allons, remuez-vous donc ! Voilà un monsieur que mon mari vous envoie, il faut l’écouter avec attention. Quittez vos calculs de mathématiques, et causez avec lui.

En entendant ces paroles, le fou se leva, regarda Gaudissart, lui fit signe de s’asseoir, et lui dit : — Causons, monsieur.

Les trois femmes allèrent dans la chambre de madame Margaritis, en laissant la porte ouverte, afin de tout entendre et de pouvoir intervenir au besoin. À peine furent-elles installées que