Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/363

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homme d’honneur. Laissez-moi arranger cela ? Hein ! sapristi, deux braves gens seraient bien bêtes de se tuer pour un geste.

— Êtes-vous sûr que les pistolets écarteront suffisamment ? Je serais fâché de tuer cet homme, après tout, dit Gaudissart.

— Dormez en paix.

Le lendemain matin, les deux adversaires se rencontrèrent un peu blêmes au bas du pont de la Cise. Le brave Vernier faillit tuer une vache qui paissait à dix pas de lui, sur le bord d’un chemin.

— Ah ! vous avez tiré en l’air, s’écria Gaudissart.

À ces mots, les deux ennemis s’embrassèrent.

— Monsieur, dit le Voyageur, votre plaisanterie était un peu forte, mais elle était drôle. Je suis fâché de vous avoir apostrophé, j’étais hors de moi, je vous tiens pour homme d’honneur.

— Monsieur, nous vous ferons vingt abonnements au Journal des Enfants, répliqua le teinturier encore pâle.

— Cela étant, dit Gaudissart, pourquoi ne déjeunerions-nous pas ensemble ? les hommes qui se battent ne sont-ils pas bien près de s’entendre ?

— Monsieur Mitouflet, dit Gaudissart en revenant à l’auberge, vous devez avoir un huissier ici…

— Pourquoi ?

— Eh ! je vais envoyer une assignation à mon cher petit monsieur Margaritis, pour qu’il ait à me fournir deux pièces de son clos.

— Mais il ne les a pas, dit Vernier.

— Hé ! Dieu, monsieur, l’affaire pourra s’arranger, moyennant vingt francs d’indemnité. Je ne veux pas qu’il soit dit que votre bourg ait fait le poil à l’Illustre Gaudissart.

Madame Margaritis, effrayée par un procès dans lequel le demandeur devait avoir raison, apporta les vingt francs au clément Voyageur, auquel on évita d’ailleurs la peine de s’engager dans un des plus joyeux cantons de la France, mais un des plus récalcitrants aux idées nouvelles.

Au retour de son voyage dans les contrées méridionales, l’Illustre Gaudissart occupait la première place du coupé dans la diligence de Laffitte-Caillard, où il avait pour voisin un jeune homme auquel il daignait, depuis Angoulême, expliquer les mystères de la vie, en le prenant sans doute pour un enfant.

En arrivant à Vouvray, le jeune homme s’écria : — Voilà un beau site !