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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/382

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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

cond substituts, d’un jeune médecin, d’un jeune juge-suppléant, aveugles admirateurs de Dinah, il y eut des moments où, de guerre lasse, on se permit des excursions dans le domaine des agréables futilités qui composent le fonds commun des conversations du monde. Monsieur Gravier appelait cela : passer du grave au doux. Le wisth de l’abbé Duret faisait une utile diversion aux quasi-monologues de la Divinité. Les trois rivaux, fatigués de tenir leur esprit tendu sur des discussions de l’ordre le plus élevé, car ils caractérisaient ainsi leurs conversations, mais n’osant témoigner la moindre satiété, se tournaient parfois d’un air câlin vers le vieux prêtre.

— Monsieur le curé meurt d’envie de faire sa petite partie, disaient-ils.

Le spirituel curé se prêtait assez bien à l’hypocrisie de ses complices, il résistait, il s’écriait : — Nous perdrions trop à ne pas écouter notre belle inspirée ! Et il stimulait la générosité de Dinah qui finissait par avoir pitié de son cher curé.

Cette manœuvre hardie inventée par le Sous-Préfet fut pratiquée avec tant d’astuce que Dinah ne soupçonna jamais l’évasion de ses forçats dans le préau de la table à jouer. On lui laissait alors le jeune substitut ou le médecin à gehenner. Un jeune propriétaire, le dandy de Sancerre, perdit les bonnes grâces de Dinah pour quelques imprudentes démonstrations. Après avoir sollicité l’honneur d’être admis dans ce Cénacle, en se flattant d’en enlever la fleur aux autorités constituées qui la cultivaient, il eut le malheur de bâiller pendant une explication que Dinah daignait lui donner, pour la quatrième fois il est vrai, de la philosophie de Kant. Monsieur de La Thaumassière, le petit-fils de l’historien de Berry, fut regardé comme un homme complétement dépourvu d’intelligence et d’âme.

Les trois amoureux en titre se soumettaient à ces exorbitantes dépenses d’esprit et d’attention dans l’espoir du plus doux des triomphes, au moment où Dinah s’humaniserait, car aucun d’eux n’eût l’audace de penser qu’elle perdrait son innocence conjugale avant d’avoir perdu ses illusions. En 1826, époque à laquelle Dinah se vit entourée d’hommages, elle atteignait à sa vingtième année, et l’abbé Duret la maintenait dans une espèce de ferveur catholique ; les adorateurs de Dinah se contentaient donc de l’accabler de petits soins, ils la comblaient de services, d’attentions, heureux