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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

sident et Gatien Boirouge offrirent aux deux hommes célèbres un banquet auquel assistèrent les personnes les plus littéraires de la ville. En apprenant que la belle madame de La Baudraye était Jan Diaz, les deux Parisiens se laissèrent conduire pour trois jours au château d’Anzy dans un char-à-bancs que Gatien mena lui-même. Ce jeune homme, plein d’illusions, donna madame de La Baudraye aux deux Parisiens non-seulement comme la plus belle femme du Sancerrois, comme une femme supérieure et capable d’inspirer de l’inquiétude à George Sand, mais encore comme une femme qui produirait à Paris la plus profonde sensation. Aussi l’étonnement du docteur Bianchon et du goguenard feuilletoniste fut-il étrange, quoique réprimé, quand ils aperçurent au perron d’Anzy la châtelaine vêtue d’une robe en léger casimir noir, à guimpe, semblable à une amazone sans queue ; car ils reconnurent des prétentions énormes dans cette excessive simplicité. Dinah portait un béret de velours noir à la Raphaël d’où ses cheveux s’échappaient en grosses boucles. Ce vêtement mettait en relief une assez jolie taille, de beaux yeux, de belles paupières presque flétries par les ennuis de la vie qui vient d’être esquissée. Dans le Berry, l’étrangeté de cette mise artiste déguisait les romanesques affectations de la femme supérieure. En voyant les minauderies de leur trop aimable hôtesse, qui étaient en quelque sorte des minauderies d’âme et de pensée, les deux amis échangèrent un regard, et prirent une attitude profondément sérieuse pour écouter madame de La Baudraye qui leur fit une allocution étudiée en les remerciant d’être venus rompre la monotonie de sa vie. Dinah promena ses hôtes autour du boulingrin orné de corbeilles de fleurs qui s’étalait devant la façade d’Anzy.

— Comment, demanda Lousteau le mystificateur, une femme aussi belle que vous l’êtes et qui paraît si supérieure, a-t-elle pu rester en province ? Comment faites-vous pour résister à cette vie ?

— Ah ! voilà, dit la châtelaine on n’y résiste pas. Un profond désespoir ou une stupide résignation, ou l’un ou l’autre, il n’y a pas de choix, tel est le tuf sur lequel repose notre existence et où s’arrêtent mille pensées stagnantes qui, sans féconder le terrain, y nourrissent les fleurs étiolées de nos âmes désertes. Ne croyez pas à l’insouciance ! L’insouciance tient au désespoir ou à la résignation, chaque femme s’adonne alors à ce qui, selon son caractère, lui paraît un plaisir. Quelques-unes se jettent dans les confitures et dans les lessives, dans