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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Madame de La Baudraye eut la rouerie, assez innocente d’ailleurs, de signaler à ces deux Parisiens entre lesquels elle voulait choisir un vainqueur, le piége où il se prendrait, en pensant qu’au moment où il ne le verrait plus, elle serait la plus forte.

— On se moque d’elles en arrivant, puis quand on a perdu le souvenir de l’éclat parisien, en voyant la femme de province dans sa sphère, on lui fait la cour, ne fût-ce que par passe-temps. Vous que vos passions ont rendu célèbre, vous serez l’objet d’une attention qui vous flattera… Prenez garde ! s’écria Dinah en faisant un geste coquet et s’élevant par ces réflexions sarcastiques au-dessus des ridicules de la province et de Lousteau. Quand une pauvre petite provinciale conçoit une passion excentrique pour une supériorité, pour un Parisien égaré en province, elle en fait quelque chose de plus qu’un sentiment, elle y trouve une occupation et l’étend sur toute sa vie. Il n’y a rien de plus dangereux que l’attachement d’une femme de province : elle compare, elle étudie, elle réfléchit, elle rêve, elle n’abandonne point son rêve, elle pense à celui qu’elle aime quand celui qu’elle aime ne pense plus à elle. Or une des fatalités qui pèsent sur la femme de province est ce dénoûment brusque de ses passions, qui se remarque souvent en Angleterre. En province, la vie à l’état d’observation indienne force une femme à marcher droit dans son rail ou à en sortir vivement comme une machine à vapeur qui rencontre un obstacle. Les combats stratégiques de la passion, les coquetteries, qui sont la moitié de la Parisienne, rien de tout cela n’existe ici.

— C’est vrai, dit Lousteau. Il y a dans le cœur d’une femme de province des surprises comme dans certains joujoux.

— Oh ! mon Dieu, reprit Dinah, une femme vous a parlé trois fois pendant un hiver, elle vous a serré dans son cœur à son insu ; vient une partie de campagne, une promenade, tout est dit, ou, si vous voulez, tout est fait. Cette conduite, bizarre pour ceux qui n’observent pas, a quelque chose de très-naturel. Au lieu de calomnier la femme de province en la croyant dépravée, un poète, comme vous, ou un philosophe, un observateur comme le docteur Bianchon sauraient deviner les merveilleuses poésies inédites, enfin toutes les pages de ce beau roman dont le dénoûment profite à quelque heureux sous-lieutenant, à quelque grand homme de province.

— Les femmes de province que j’ai vues à Paris, dit Lousteau, étaient en effet assez enleveuses…