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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/415

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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

je n’ai jamais trouvé ridicules les maris trompés ; au contraire, je les aime…

— Ne trouvez-vous pas un mari sublime de confiance ? dit alors Bianchon, il croit en sa femme, il ne la soupçonne point, il a la foi du charbonnier. S’il a la faiblesse de se confier à sa femme, vous vous en moquez ; s’il est défiant et jaloux, vous le haïssez : dites-moi quel est le moyen terme pour un homme d’esprit ?

— Si monsieur le Procureur du Roi ne venait pas de se prononcer si ouvertement contre l’immoralité des récits où la charte conjugale est violée, je vous raconterais une vengeance de mari, dit Lousteau.

Monsieur de Clagny jeta ses dés d’une façon convulsive, et ne regarda point le journaliste.

— Comment donc, mais une narration de vous, s’écria madame de La Baudraye, à peine aurais-je osé vous la demander…

— Elle n’est pas de moi, madame, je n’ai pas tant de talent ; elle me fut, et avec quel charme ! racontée par un de nos écrivains les plus célèbres, le plus grand musicien littéraire que nous ayons, Charles Nodier.

— Eh ! bien, dites, reprit Dinah, je n’ai jamais entendu monsieur Nodier, vous n’avez pas de comparaison à craindre.

— Peu de temps après le 18 brumaire, dit Lousteau, vous savez qu’il y eut une levée de boucliers en Bretagne et dans la Vendée. Le premier consul, empressé de pacifier la France, entama des négociations avec les principaux chefs et déploya les plus vigoureuses mesures militaires ; mais, tout en combinant des plans de campagne avec les séductions de sa diplomatie italienne, il mit en jeu les ressorts machiavéliques de la police, alors confiée à Fouché. Rien de tout cela ne fut inutile pour étouffer la guerre allumée dans l’ouest. À cette époque, un jeune homme appartenant à la famille de Maillé fut envoyé par les Chouans, de Bretagne à Saumur, afin d’établir des intelligences entre certaines personnes de la ville ou des environs et les chefs de l’insurrection royaliste. Instruite de ce voyage, la police de Paris avait dépêché des agents chargés de s’emparer du jeune émissaire à son arrivée à Saumur. Effectivement, l’ambassadeur fut arrêté le jour même de son débarquement ; car il vint en bateau, sous un déguisement de maître marinier. Mais, en homme d’exécution, il avait calculé toutes les chances de son entreprise ; son passe-port, ses papiers étaient si bien en règle que les