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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Sortons, on viendra nous avertir, dit la baronne qui mit son cocher en vedette.

Dinah prit le bras de Bianchon, et le médecin alla se promener sur le bord de la Loire d’un pas si rapide que le journaliste dut rester en arrière. Un seul clignement d’yeux avait suffi au docteur pour faire comprendre à Lousteau qu’il voulait le servir.

— Étienne vous a plu, dit Bianchon à Dinah, il a parlé vivement à votre imagination, nous nous sommes entretenus de vous hier au soir, et il vous aime… Mais c’est un homme léger, difficile à fixer, sa pauvreté le condamne à vivre à Paris, tandis que tout vous ordonne de vivre à Sancerre… Voyez la vie d’un peu haut… faites de Lousteau votre ami, ne soyez pas exigeante, il viendra trois fois par an passer quelques beaux jours près de vous, et vous lui devrez la beauté, le bonheur et la fortune. Monsieur de La Baudraye peut vivre cent ans, mais il peut aussi périr en neuf jours, faute d’avoir mis le suaire de flanelle dont il s’enveloppe ; ne compromettez donc rien. Soyez sages tous deux. Ne me dites pas un mot… J’ai lu dans votre cœur.

Madame de La Baudraye était sans défense devant des affirmations si précises et devant un homme qui se posait à la fois en médecin, en confesseur et en confident.

— Eh ! comment, dit-elle, pouvez-vous imaginer qu’une femme puisse se mettre en concurrence avec les maîtresses d’un journaliste… Monsieur Lousteau me paraît agréable, spirituel, mais il est blasé, etc., etc…

Dinah revint sur ses pas et fut obligée d’arrêter le flux de paroles sous lequel elle voulait cacher ses intentions ; car Étienne, qui paraissait occupé des progrès de Cosne, venait au-devant d’eux.

— Croyez-moi, lui dit Bianchon, il a besoin d’être aimé sérieusement, et s’il change d’existence, son talent y gagnera.

Le cocher de Dinah accourut essoufflé pour annoncer l’arrivée de la diligence, et l’on hâta le pas. Madame de La Baudraye allait entre les deux Parisiens.

— Adieu, mes enfants, dit Bianchon avant d’entrer dans Cosne, je vous bénis…

Il quitta le bras de madame de La Baudraye en le laissant prendre à Lousteau qui le serra sur son cœur avec une expression de tendresse. Quelle différence pour Dinah ! le bras d’Étienne lui causa la plus vive émotion quand celui de Bianchon ne lui avait rien fait