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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

— Oh ! fit Gatien percé au cœur par la cruelle différence des deux explications du journaliste.

Lousteau, qui comptait sur cette surprise de Gatien, le prit par le bras et le lui serra pour lui demander le silence. Quelques moments après, Lousteau laissa les trois adorateurs de Dinah seuls, en s’emparant du petit La Baudraye. Gatien fut alors interrogé sur les événements du voyage. Monsieur Gravier et monsieur de Clagny furent stupéfaits d’apprendre que Dinah s’était trouvée seule au retour de Cosne avec Lousteau ; mais plus stupéfaits encore des deux versions du Parisien sur le changement de robe. Aussi l’attitude de ces trois hommes déconfits fut-elle très-embarrassée pendant la soirée. Le lendemain matin, chacun d’eux eut des affaires qui l’obligeaient à quitter Anzy, où Dinah resta seule avec sa mère, son mari et Lousteau.

Le dépit des trois Sancerrois organisa dans la ville une grande clameur. La chute de la Muse du Berry, du Nivernais et du Morvan fut accompagnée d’un vrai charivari de médisances, de calomnies et de conjectures diverses parmi lesquelles figurait en première ligne l’histoire de la robe d’organdi. Jamais toilette de Dinah n’eut autant de succès, et n’éveilla plus l’attention des jeunes personnes qui ne s’expliquaient point les rapports entre l’amour et l’organdi dont riaient tant les femmes mariées. La Présidente Boirouge, furieuse de la mésaventure de son Gatien, oublia les éloges qu’elle avait prodigués au poème de Paquita la Sévillane ; elle fulmina des censures horribles contre une femme capable de publier une pareille infamie.

— La malheureuse fait ce qu’elle a écrit ! disait-elle. Peut-être finira-t-elle comme son héroïne !…

Il en fut de Dinah dans le Sancerrois comme du maréchal Soult dans les journaux de l’opposition : tant qu’il est ministre, il a perdu la bataille de Toulouse ; dès qu’il rentre dans le repos, il l’a gagnée ! Vertueuse, Dinah passait pour la rivale des Camille Maupin, des femmes les plus illustres ; mais heureuse, elle était une malheureuse.

Monsieur de Clagny défendit courageusement Dinah, il vint à plusieurs reprises au château d’Anzy pour avoir le droit de démentir le bruit qui courait sur celle qu’il adorait toujours, même tombée, et il soutint qu’il s’agissait entre elle et Lousteau d’une collaboration à un grand ouvrage. On se moqua du Procureur du Roi.