Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
458
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

ces fleurs de l’âme nées chaque jour et dont le charme est enivrant mais pour deux êtres seulement. Aussi dès qu’une lettre d’amour peut faire plaisir au tiers qui la lit, est-elle à coup sûr sortie de la tête et non du cœur. Mais les femmes y seront toujours prises, elles croient alors être l’unique source de cet esprit.

Vers la fin du mois de décembre, Lousteau ne lisait plus les lettres de Dinah qui s’accumulèrent dans un tiroir de sa commode toujours ouvert, sous ses chemises qu’elles parfumaient. Il advenait à Lousteau l’un de ces hasards que ces Bohémiens doivent saisir par tous ses cheveux. Au milieu de ce mois, madame Schontz, qui s’intéressait beaucoup à Lousteau, le fit prier de passer chez elle un matin pour affaire.

— Mon cher, tu peux te marier, lui dit-elle.

— Souvent, ma chère, heureusement !

— Quand je dis te marier, c’est faire un beau mariage. Tu n’as pas de préjugés, on n’a pas besoin de gazer : voici l’affaire. Une jeune personne a commis une faute, et la mère n’en sait pas le premier baiser. Le père est un honnête Notaire plein d’honneur, il a eu la sagesse de ne rien ébruiter. Il veut marier sa fille en quinze jours, il donne une dot de cent cinquante mille francs, car il a trois autres enfants ; mais !… — pas bête — il ajoute un supplément de cent mille francs de la main à la main pour couvrir le déchet. Il s’agit d’une vieille famille de la bourgeoisie parisienne, quartier des Lombards…

— Eh ! bien, pourquoi l’amant n’épouse-t-il pas ?

— Mort.

— Quel roman ! il n’y a plus que rue des Lombards où les choses se passent ainsi…

— Mais ne vas-tu pas croire qu’un frère jaloux a tué le séducteur ?… Ce jeune homme est tout bêtement mort d’une pleurésie, attrapée en sortant du spectacle. Premier clerc, et sans un liard, mon homme avait séduit la fille pour avoir l’Étude : en voilà une vengeance du ciel ?

— D’où sais-tu cela ?

— De Malaga, le Notaire est son milord.

— Quoi, c’est Cardot, le fils de ce petit vieillard à queue et poudre, le premier ami de Florentine !…

— Précisément. Malaga, dont l’amant est un petit criquet de musicien de dix-huit ans, ne peut pas en conscience le marier