Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/48

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cinq ou six vieilles filles qui passaient toute leur journée à tamiser les paroles, à scruter les démarches de leurs voisins et des gens placés au-dessus ou au-dessous d’elles dans la société ; puis, enfin, plusieurs femmes âgées, exclusivement occupées à distiller les médisances, à tenir un registre exact de toutes les fortunes, ou à contrôler les actions des autres : elles pronostiquaient les mariages et blâmaient la conduite de leurs amies aussi aigrement que celle de leurs ennemies. Ces personnes, logées toutes dans la ville de manière à y figurer les vaisseaux capillaires d’une plante, aspiraient, avec la soif d’une feuille pour la rosée, les nouvelles, les secrets de chaque ménage, les pompaient et les transmettaient machinalement à l’abbé Troubert, comme les feuilles communiquent à la tige la fraîcheur qu’elles ont absorbée. Donc, pendant chaque soirée de la semaine, excitées par ce besoin d’émotion qui se retrouve chez tous les individus, ces bonnes dévotes dressaient un bilan exact de la situation de la ville, avec une sagacité digne du conseil des Dix, et faisaient la police, armées de cette espèce d’espionnage à coup sûr que créent les passions. Puis, quand elles avaient deviné la raison secrète d’un événement, leur amour-propre les portait à s’approprier la sagesse de leur sanhédrin, pour donner le ton du bavardage dans leurs zones respectives. Cette congrégation oisive et agissante, invisible et voyant tout, muette et parlant sans cesse, possédait alors une influence que sa nullité rendait en apparence peu nuisible, mais qui cependant devenait terrible quand elle était animée par un intérêt majeur. Or, il y avait bien long-temps qu’il ne s’était présenté dans la sphère de leurs existences un événement aussi grave et aussi généralement important pour chacune d’elles que l’était la lutte de Birotteau, soutenu par madame de Listomère, contre l’abbé Troubert et mademoiselle Gamard. En effet, les trois salons de mesdames de Listomère, Merlin de La Blottière et de Villenoix étant considérés comme ennemis par ceux où allait mademoiselle Gamard, il y avait au fond de cette querelle l’esprit de corps et toutes ses vanités. C’était le combat du peuple et du sénat romain dans une taupinière, ou une tempête dans un verre d’eau, comme l’a dit Montesquieu en parlant de la république de Saint-Marin dont les charges publiques ne duraient qu’un jour, tant la tyrannie y était facile à saisir. Mais cette tempête développait néanmoins dans les âmes autant de passions qu’il en aurait fallu pour diriger les plus grands intérêts sociaux. N’est-ce pas une erreur de