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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Mon petit chat, lui dit-elle, achève ta Nouvelle sans rien sacrifier à la nécessité, polis ton style, creuse ton sujet. J’ai trop fait la dame, je vais faire la bourgeoise et tenir le ménage.

Depuis quatre mois, Étienne menait Dinah au café Riche dîner dans un cabinet qu’on leur réservait. La femme de province fut épouvantée en apprenant qu’Étienne y devait cinq cents francs pour les derniers quinze jours.

— Comment, nous buvions du vin à six francs la bouteille ! une sole normande coûte cent sous !… un petit pain vingt centimes !… s’écria-t-elle en lisant la note que lui tendit le journaliste.

— Mais, être volé par un restaurateur ou par une cuisinière, il y a peu de différence pour nous autres, dit Lousteau.

— Tu vivras comme un prince pour le prix de ton dîner.

Après avoir obtenu du propriétaire une cuisine et deux chambres de domestiques, madame de La Baudraye écrivit un mot à sa mère en lui demandant du linge et un prêt de mille francs. Elle reçut deux malles de linge, de l’argenterie, deux mille francs par une cuisinière honnête et dévote que sa mère lui envoyait.

Dix jours après la représentation où ils s’étaient rencontrés, monsieur de Clagny vint voir madame de La Baudraye à quatre heures, en sortant du Palais, et il la trouva brodant un petit bonnet. L’aspect de cette femme si fière, si ambitieuse, dont l’esprit était si cultivé, qui trônait si bien dans le château d’Anzy, descendue à des soins de ménage et cousant pour l’enfant à venir, émut le pauvre magistrat qui sortait de la Cour d’Assises. En voyant des piqûres à l’un de ces doigts tournés en fuseau qu’il avait baisés, il comprit que madame de La Baudraye ne faisait pas de cette occupation un jeu de l’amour maternel. Pendant cette première entrevue, le magistrat lut dans l’âme de Dinah. Cette perspicacité chez un homme épris était un effort surhumain. Il devina que Didine voulait se faire le bon génie du journaliste, le mettre dans une noble voie ; elle avait conclu des difficultés de la vie matérielle à quelque désordre moral. Entre deux êtres unis par un amour, si vrai d’une part et si bien joué de l’autre, plus d’une confidence s’était échangée en quatre mois. Malgré le soin avec lequel Étienne se drapait, plus d’une parole avait éclairé Dinah sur les antécédents de ce garçon dont le talent fut si comprimé par la misère, si perverti par le mauvais exemple, si contrarié par des difficultés au-dessus de son courage. Il grandira dans l’aisance, s’était-elle dit. Et elle voulait lui donner